Cette affaire de burkini est navrante. Navrante, l’idée d’une France où une police des mœurs prescrirait, non plus de se couvrir, mais de se déshabiller.

Lamentable, la perspective de voir les juges, ou le Conseil d’Etat, casser, pour la plus grande joie des provocateurs, des arrêtés d’interdiction qui n’apparaissent justifiés ni par le souci de l’ordre public ni par l’impératif de laïcité.

Et imaginons un instant le désarroi des maires si tout ce que la France compte d’islamogauchistes et apparentés décidait, l’été prochain, ou demain, en “solidarité” avec leurs “camarades” ou leurs “sœurs” victimes d’une inacceptable “stigmatisation”, de venir en foule sur les plages en arborant des burkinis aux cris de “nous sommes tous etc.”.

Transformer les républicains en talibans à l’envers réglementant, eux aussi, la longueur des jupes et des costumes de bain.

Cela n’est pas une supposition. C’est une proposition, qui est apparue sur les réseaux sociaux. Et c’est, de toute façon, le scénario catastrophe que doit bien envisager l’autorité publique face à un défi de cette sorte.

Il y avait là un piège. Et, le piège une fois tendu, la plus mauvaise des solutions était, en surréagissant, d’y tomber à pieds joints et de le laisser se refermer.

Car, en même temps, il ne faut pas se raconter d’histoires.

Et ce n’est évidemment pas un hasard si c’est cet été que cette affaire est née et que des femmes se sont mises, sur les plages, à se vêtir ainsi.

Le burkini n’est pas une mode, mais une vague. C’est, plus exactement, la crête d’une vague qui est celle d’un islamisme radical partout à l’offensive.

Et sans doute y a-t-il là, pour les artisans de cette guerre de longue durée et qui se déploie sur tous les fronts, l’occasion rêvée de faire coup double : sur le front, d’abord, de l’opinion, tenter de transformer les républicains en talibans à l’envers réglementant, eux aussi, la longueur des jupes et des costumes de bain – et, dans le même mouvement, encourager le réenfermement des femmes dans ces prisons de tissu qui sont de mise en Afghanistan, au Pakistan ou en Arabie saoudite.

Ces femmes le font librement ?

C’est de leur plein gré qu’elles acceptent l’idée que leur corps et son spectacle soient source de culpabilité ?

C’est possible.

Mais il faut beaucoup de mauvaise foi ou, ce qui est presque pire, de niaiserie pour découvrir aujourd’hui un mécanisme de servitude volontaire dépeint il y a cinq siècles par un certain Etienne de La Boétie.

Une question politique

Et, surtout, on voit mal par quel miracle “les femmes” ne seraient pas, elles aussi, fût-ce à leur détriment, partie prenante d’une offensive idéologique qui traverse le monde musulman ; qui, ici, en Europe, n’en finit pas de tester les résistances de ses opposants ; et dont cette affaire n’est que la énième et, pour le moment, dérisoire illustration.

Alors ?

Alors, toute la question est là.

Elle n’est, cette question, pas religieuse mais politique. Et, si elle est posée à l’ensemble des Français, il faut admettre qu’elle s’adresse avec une acuité particulière à ceux d’entre eux qui, d’une façon ou d’une autre, se reconnaissent dans l’islam.

Que pensent-ils de cette entorse au principe républicain d’une égalité rigoureuse entre les sexes ?

Trouvent-ils choquante ou non cette discrimination visible, sur les plages, entre mecs autorisés à rouler des muscles, exhiber leurs tatouages et faire montre de leur virilité – et femmes sujettes, cachées sous leurs vêtures et dont la chair ne saurait se voir sans offense ?

Ce retour en arrière, s’il venait à s’amplifier et si se multipliait le nombre de ces femmes acceptant ou choisissant, en vertu d’une lecture politique du Coran, de renouer avec l’époque où le deuxième sexe était réputé honteux, impur et sale, doit-il être encouragé ou découragé ?

Et cette affaire, enfin, est-elle si “privée” que nous le disent les partisanes et partisans de la réévaluation à la baisse des droits acquis, de haute lutte, par le féminisme ?

Ou bien ces droits sont-ils, comme quelques autres droits fondamentaux, constitutifs de cet édifice complexe, fragile et, quand cède une de ses poutres, prompt à s’effondrer, qu’est la maison commune républicaine ?

C’est aux imams, aux responsables d’association, aux autorités morales dont la voix, sur ces sujets, est écoutée, de répondre sans tarder, mais posément.

C’est à eux qu’il appartient de rappeler que la démocratie, comme la République, est un tout et qu’en revenant au temps où les pratiquants de toutes les grandes religions croyaient juste de cacher leurs femmes c’est la démocratie tout entière que l’on mettrait en péril.

Et l’on aimerait voir par exemple les personnalités qui, il y a trois semaines, dans le JDD, publiaient un appel à une réforme de l’islam de France rendue nécessaire, disaient-elles, par une série noire d’attentats dûment répertoriés (mais en “oubliant”, jusqu’à ce jour, la tuerie de l’Hyper Cacher…) qu’elles aient le courage, cette fois, de dire : tenir bon sur la cause des femmes est aussi important que de rester intraitable sur la liberté de caricaturer, de flâner sur la Promenade des Anglais, de s’attabler à la terrasse d’un café, d’aller à la messe en sécurité ou d’écouter un concert au Bataclan.

Tel est l’enjeu.

Telle devrait être, dans le calme, sans panique, la réponse.

Cela ne stoppera pas, par enchantement, la progression du salafisme en France.

Mais ce sera cent fois plus efficace, sur la longue ou moyenne durée, que des arrêtés pris dans la précipitation, en contravention avec les règles de l’Etat de droit et, au fond, contreproductifs.


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