Réunies aujourd’hui à Vienne (Autriche) autour de Bernard-Henri Lévy, et de personnalités européennes et ukrainiennes, la toute nouvelle Agence pour la modernisation de l’Ukraine se donne 200 jours pour rédiger un projet de « plan Marshall ». A suivre… 

L’écrivain Bernard-Henri Lévy, allié aux millieux économiques ukrainiens (patronat et syndicats) ainsi qu’à des personnalités allemandes (l’ex-ministre des Finances Peer Steinbrück), françaises (l’ex-patronne du Medef Laurence Parisot), polonaises (l’ancien Premier ministre Wlodzimierz Cimoszewicz) ou encore britanniques (l’ancien ministre Peter Mandelson), peut-il sauver l’Ukraine? 

C’est en tout cas l’objectif ambitieux que l’écrivain français, habitué à voir les choses en grand, s’est fixé avec l’Agence pour la modernisation de l’Ukraine dont il est le cofondateur. Et qui a été inaugurée aujourd’hui à Vienne (Autriche), en présence d’une brochette de personnalités européennes réunies dans l’enceinte du Palais Ferstel, l’un des plus beaux édifices du centre historique aujourd’hui transformé en centre de convention. 

Outre les personnalités citées plus haut, la tribune accueillait en effet l’ancien président ukrainien Leonid Kravtchouk, son compatriote homme d’affaires et oligarque Dmitri Firtash, les parlementaires britanniques John Whittingdale et Lord Risby (tous deux conservateurs) ou encore l’ex-commissaire européen Günter Verheugen, Bernard Kouchner (on ne présente pas) et, enfin, l’ex-président sud-africain Frederick W. de Klerk, venu partager son expérience d’homme d’Etat dans le domaine de la reconstruction institutionnelle d’une nation. 

Nous sommes peut-être au début d’une formidable expérience de « nation building » 

« L’idée, explique BHL -qui est le moteur du projet avec le député allemand Karl-Georg Wellmann (CDU) et Lord Risby- est de créer des groupes de travail, selon différents thèmes (Constitution, Lutte anticorruption, Fiscalité, Justice, Intégration européenne, Santé) qui travailleront chacun indépendamment dans leur coin. Et se retrouveront dans deux cents jours pour formuler des propositions susceptibles de sortir enfin l’Ukraine du marasme où elle est plongée depuis trop longtemps; aujourd’hui à cause de la guerre, hier en raison de la corruption et avant-hier du fait du soviétisme. » 

L’idée est noble et la bonne volonté est là, même si -les particpants le reconnaissent- le succès n’est pas garantit à l’arrivée. « Nous sommes peut-être au début d’une formidable expérience de « nation building », comme on dit en anglais! », veut croire, optimiste, BHL. « La prochaine étape, c’est dans deux cents jours. Alors nous compilerons nos propositions et présenterons un projet que le patronat et les syndicats ukrainiens, à nos côtés dans ce projet, se chargeront de présenter à la Rada, le parlement ukrainien. » 

Des défis immenses

Seule certitude: l’un des objectifs non-formulés de l’Agence pour la modernisation de l’Ukraine (AMU) consiste précisément à aider le gouvernement ukrainien, aujourd’hui accaparé par l’urgence de la guerre, à réfléchir sur son destin à moyen et à long terme. « Il faut que nous accomplissions en 25 ans le même chemin que celui parcouru par la Pologne depuis 1990 », note l’oligarque Dmitri Firtash dont le groupe emploie 130.000 salariés. Il ajoute: « Pour cela, nous avons le choix: soit attendre un miracle, soit retrousser nos manches dès aujourd’hui. La seconde solution paraît la plus raisonnable… » 

Les défis sont immenses et nombreux. Constitutionnel d’abord. En vingt ans, l’Ukraine a changé quatre fois de régime (présidentiel, puis parlementaire, puis présidentiel et parlementaire à nouveau). Aujourd’hui encore, le partage des pouvoirs entre le président Petro Porochenko et le Premier ministre Evgueni Iatséniouk ne sont pas vraiment clairs.
Fiscal et financier, ensuite. Car la sécurité juridique est inexistante sur les rives du Dniepr. « Une réforme des impôts est indispensable, insiste Firtash. Les investisseurs nationaux ou étrangers doivent pouvoir comprendre comment fonctionne notre système et ce qu’ils peuvent espérer comme retour sur investissement. » Chose aujourd’hui impossible en raison de la corruption infernale dont les proportions sont comparables à celle qui gangrène le Mexique.

Le financement de l’Ukraine pourrait passer par un fonds spécial d’investissements, espèrent les dirigeants de l’Agence pour la Modernisation de l’Ukraine. Il s’agit-là du fameux plan Marshall évoqué par BHL. « L’Ukraine a besoin dans l’absolu de 300 milliards d’euros », estime Firtash. « Ceux-ci, précise BHL, pourraient provenir de l’Union européenne (UE), du Fonds monétaire international (FMI) mais également, pourquoi pas, de différents fonds souverains tels que celui de la Norvège. Car comme le reste de l’Europe, ce pays scandinave a tout intérêt à contribuer à la stabilité de l’Ukraine et, donc du continent. » 

Reste le principal problème; la corruption. « Si on parle de plan Marshall, alors il faut non seulement être capable de lever des fonds mais également pouvoir vérifier que l’argent arrive bien aux destinataires souhaités, non pas détournés et perdus en route », note le très carré Peer Steinbrück, ancien ministre des Finances et poids lourd du gouvernement Merkel (de 2005 à 2009) dont le rôle fut déterminant dans le sauvetage de l’économie européenne en 2008. 

« Aucune institution, ni l’UE, ni le FMI, ni la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ne mettra un centime si elle a l’impression que c’est de l’argent gaspillé, jeté dans un puits sans fond. Il faut donc réformer l’administration fiscale, le système juridique et mettre en place des règles de bonne gouvernance à tous les niveaux, ajoute Steinbrück. Autant que je sache, le parlement ukrainien a initié quelques réformes l’année dernière. Mais il lui faut aller beaucoup, beaucoup plus loin. »


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