Avant le feu (sur Kadhafi), il y eut la glace. Début des années 90, Bernard-Henri Lévy, Nicolas Sarkozy et leur ami commun, Alain Carignon, skient à l’Alpe d’Huez. Ils sont en haut de la piste. « Bernard, si tu ne lâches pas Jérôme Clément, on te pousse dans le ravin. » Les deux députés RPR s’apprêtent à revenir au pouvoir et réfléchissent au devenir d’Arte. Ils chambrent le philosophe qui est un fervent défenseur du patron d’alors de la chaîne franco-allemande, l’homme de gauche Clément. On rigole… Leur équipée ne cesse d’étonner : pourtant, BHL et Nicolas Sarkozy, unis aujourd’hui pour chasser Kadhafi, sont de vieilles connaissances.

1983 : le futur président de la République est élu maire de Neuilly. Il invite à sa table un de ses administrés, dont la carrière vient de décoller grâce à La barbarie au visage humain. Bernard Henri-Lévy est face à Nicolas Sarkozy. Les deux hommes sympathisent. Déjeuners, dîners, week-end au soleil, à la montagne avec Arielle et Cécilia… Les années passent, les moments partagés se succèdent. Invité en 1994, de « 7 sur 7 », Sarkozy dit tout le bien qu’il pense du dernier essai de l’intellectuel, La pureté dangereuse. En 2002, le ministre de l’Intérieur débat avec Tariq Ramadan. BHL l’aide à affiner ses argumentaires. En 2007, tout se complique…

« Entre eux, c’est une histoire manquée »

« Et toi ? Tu me le fais quand, toi, ton petit article ? » A quatre mois du premier tour, le candidat de l’UMP à l’Elysée vient d’enregistrer le ralliement d’André Glucksmann. Il appelle son ami BHL, attendant qu’il fasse de même. La conversation (que ce dernier reproduit dans son livre Ce grand cadavre à la renverse) se passe mal. Le philosophe n’a pas envie qu’on lui force la main ; il se revendique de gauche ; il n’est pas très en phase avec la ligne que met en avant à longueur de discours, la plume du candidat, Henri Guaino … « Allez. Arrête de pinailler. Sois courageux, mon petit Bernard. Sois courageux, sors de ton lit… » La conversation en restera là. Bernard-Henri Lévy, qui ne croit guère à l’élection de Nicolas Sarkozy, en raison notamment de son long passage au ministère de l’Intérieur, soutiendra activement Ségolène Royal : ils se téléphoneront tous les jours, dîneront en trois mois plus de 20 fois ensemble ! Sarkozy n’appréciera pas.

Après sa victoire, cela ne s’arrange pas. BHL fustige le discours de Dakar, la venue en grande pompe à Paris de Kadhafi, les trop bonnes relations avec la Russie… En août 2010, il s’en prend, dans Le Monde, à l’été sécuritaire du chef de l’Etat. Pourtant en coulisses, les deux hommes ont recommencé à se parler. Par l’entremise d’Alain Minc, Nicolas Sarkozy reçoit au printemps 2009 l’intello à l’Elysée pour parler… d’Arte (!) : le premier a décidé de reconduire le second au conseil de surveillance de la chaîne. Redevenu un influent conseiller de l’ombre, Alain Carignon répète souvent au président qu’il devrait plus davantage se parler. « Entre eux, c’est une histoire manquée », regrette-t-il. Sarkozy appelle donc Lévy après sa sortie dans Le Monde. En novembre dernier, il le joint à nouveau pour l’assurer qu’il fait de Sakineh, cette jeune iranienne condamnée à mort par lapidation pour adultère, que l’intello défend activement, « une affaire personnelle ». Et puis, il y aura Kadhafi.

Reçu le 10 mars à l’Elysée, en compagnie des représentants du comité libyen de transition, BHL prend bien soin de ne pas figurer sur les images. Dans ses interviews, il précise toujours qu’il votera en 2012 pour DSK (il pense depuis longtemps qu’il sera candidat). Mais désormais, il est aussi très laudateur pour le président…


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