Un quarteron d’intellectuels, assez pathétiques, appelle à voter communiste. Ce n’est pas un événement majeur. Mais enfin… C’est un signe des temps. C’est une manifestation supplémentaire de l’insoutenable légèreté de certains de nos penseurs, de leurs engagements capricieux et, en la circonstance, irresponsables.

Intéressant d’observer comment le syndrome anti-Maastricht a su catalyser quelques-unes des pulsions les plus douteuses de l’idéologie française. Péguistes attardés, bernanosiens en goguette, disciples de Sorel et de Proudhon, antitotalitaires dont la révolte se confondait avec des nostalgies identitaires : tous d’accord pour accoucher de cette nouvelle chimère, le national-anarcho-communisme.

Le cinquième élément de Luc Besson sur la voie des plus grands succès de l’histoire du cinéma. Faut-il dire : « voilà, vous voyez bien, les Français, quand ils s’y mettent, peuvent faire aussi bien que Steven Spielberg » ? Ou est-ce, au contraire, la dernière défaite de l’exception culturelle et de son esprit, « l’american way of shooting, ses effets spéciaux, son esthétique de clip et de BD, gagnant, non seulement le public, mais les meilleurs de nos cinéastes » ?

D’Alain Madelin, ce mot qui devrait rester dans les annales de la très grande obscénité politique : « Les Irlandais ont l’Ira, les Espagnols Eta, les Italiens la Mafia. Eh bien, la France a l’Ena. » Tentation, face à tant de vulgarité, de défendre ladite Ena. Vrai éloge à faire d’une institution qui a, certes, ses défauts, mais qui ne mérite évidemment pas l’opprobre dont la couvre une opinion pavlovisée : ne lui devons-nous pas, au moins, une certaine idée de l’État et, donc, de la République ? et le mérite est-il si mince, en ces temps de dégradation de l’esprit public, de corruption généralisée ?

J’avais, grâce à M. Toubiana – des Cahiers –, la palme du « film le plus nul de l’histoire du cinéma ». Mais voici, grâce à M. Baignères – du Figaro –, le mistigri qui passe à Mathieu Kassovitz et à son Assassin(s). Baignères-Cahiers, même combat ? Deux visages de la même critique – frivole, inculte, à l’estomac ? « Le film le plus nul »… « L’histoire du cinéma»… Je rêve sur ces superlatifs, et sur la rage immense qu’il doit falloir pour oser les imprimer. Pour l’heure, il faut voir Assassin(s).

Rue Saint-Louis-en-l’Île. La petite librairie bosniaque de Paris – Le Lys – qui met son point d’honneur à vendre livres et journaux de Zagreb, Belgrade, Skopje, Pristina, autant que Sarajevo. Preuve que l’esprit yougoslave n’est pas mort – et que ce sont les Bosniaques qui, aujourd’hui comme hier, en entretiennent la flamme. Lundi soir, Jovan Divjak, ce général d’origine serbe qui fut au premier rang de la lutte contre la purification ethnique, vient y parler de la guerre. Sarajevo, capitale de la résistance. Paris, refuge des exilés.

Si le Front national continue de se déchirer, puis décline et se marginalise, ce pourrait être le déclin de la politique en tant que telle (qui n’a cessé, comme chacun sait, de se structurer depuis des décennies autour d’une sorte de corps noir – hier le PC, aujourd’hui le FN). Mais si la politique décline, si cette campagne devait être notre dernière grande campagne politique, alors le Front national devrait, en toute logique, reprendre l’essentiel de son poids (puisqu’il se nourrit, comme on sait aussi, de l’exténuation du débat, de la généralisation du consensus). Cercle – vicieux ! – de la raison politique.

L’opinion bouleversée, à juste titre, par le beau destin de Lucie Aubrac. Mais sait-on qu’il y a une autre Lucie Aubrac dont les hauts faits n’ont rien à envier à ceux de la première et qui se trouve être, par ailleurs, l’un des meilleurs témoins de la vie des idées au cours du demi-siècle ? Elle s’appelle Dominique Desanti. On la connaissait, jusqu’ici, pour ses romans et ses biographies. Mais viennent de paraître ses Mémoires, qui racontent une vie magnifique : la Résistance donc, mais aussi Aragon, l’épopée communiste et ses égarements, Picasso et son chauffeur, le Sartre antinazi du « Welcome Hotel », le goût de Lacan pour le carpaccio, Tel quel, Foucault à San Francisco. Il y a deux portes dans la maison de l’immortalité : Dominique Desanti a choisi celle du témoin engagé, du greffier – qui sait si, dans un autre demi-siècle, l’auteur de Ce que le siècle m’a dit n’apparaîtra pas comme un des guides les plus précieux pour comprendre l’époque qui s’achève ?

À propos des nouveaux amis de M. Hue, cette observation que nous étions quelques-uns à faire, au moment de la destruction du Mur : pour ceux – la plupart – qui réduisaient l’affaire au « Goulag » et aux « violations des droits de l’homme », la chute du communisme pouvait être la chance des communistes ; loin de sonner le glas d’un « idéal » dénaturé par ses « incarnations », l’implosion des mondes de l’Est pouvait fort bien, au contraire, en ressusciter charmes et prestiges. Communistes parce qu’il n’y a plus de Goulag, communistes parce qu’il n’y a plus d’URSS, communistes, en un mot, parce que le système a failli et qu’ils pensent n’avoir plus à subir l’opprobre des crimes commis en son nom, tels sont les nouveaux compagnons de route. Et en avant pour le « socialisme national » ! et vive « l’horreur économique » !


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