Gero von Randow : Quelle fut votre réaction en voyant les premières images de Dominique Strauss-Kahn sortant, menotté, du commissariat de Harlem ?

BHL : L’écœurement. Dieu sait si j’aime l’Amérique et si je déteste l’anti-américanisme. Mais, là, il y a un problème. On ne jette pas un homme, comme ça, aux chiens. Et on n’offre pas à la meute de ces nouveaux chasseurs de prime que sont les chasseurs d’images un spectacle d’une pareille cruauté.

Dominique Strauss-Kahn a été traité comme n’importe quel autre justiciable.

BHL : Oui. Mais, justement, il n’est pas n’importe quel autre justiciable. Tout le monde sait que quand un meurtrier ordinaire sort, menotté, d’un commissariat, il n’y a pas d’appareils photo pour le fusiller. Quand c’est Strauss-Kahn, la planète entière est là. Faire semblant de ne pas voir la différence, c’est ça la vraie injustice.

La Special Victims Unit de la police new-yorkaise a une bonne réputation. J’ai quand même l’impression qu’un certain mépris pour la justice américaine se fait ressentir en France.

BHL : C’est un problème, non de justice, mais de politique. D’un côté, on nous dit qu’on ne veut pas montrer les images de Ben Laden pour ne pas offenser les musulmans. De l’autre, on passe et repasse en boucle les images de Strauss-Kahn sans se soucier de savoir si on offense, ou non, sa femme, sa famille, les siens.

Est-ce qu’il y a un rapport, selon vous, avec le cas de Roman Polanski, dans lequel vous avez soutenu l’inculpé ?

BHL : Selon moi, non. Mais selon la justice américaine apparemment oui puisque le nom de Polanski a été bel et bien prononcé à l’audience. Et cela aussi est inadmissible. Comme si les Américains voulaient, dans cette affaire, non pas juger mais se venger – et se venger, concrètement, de ce que Polanski leur a échappé.

Tout le monde, sauf Marine Le Pen, souligne la présomption d’innocence. Or, dans les médias, Strauss-Kahn a été écarté du jeu politique à toute vitesse. Selon vous, est-ce qu’il y a un paradoxe ?

BHL : Ça ne s’appelle pas un paradoxe, ça s’appelle de la tartufferie. Car le fond de l’affaire, oui, c’est ce climat d’hallali contre un homme dont beaucoup de gens seraient ravis de pouvoir se débarrasser.

Donc, un complot ?

BHL : Non. Mais une divine surprise. Voyez tous ces commentateurs dans les talk-shows, tous ces procureurs du dimanche, ces « tricoteuses » comme on disait de celles et ceux qui venaient assister aux exécutions par guillotine : voilà un homme qui joue sa peau – et eux, pendant ce temps, tranquillement installés dans leurs fauteuils, dissertent sur l’avenir du PS, le droit à la transparence ou les mystères de la fellation. C’est abject.

Depuis deux semaines, les médias français ont insisté sur le train de vie de Strauss-Kahn ?

BHL : C’est ce que je suis en train de vous dire. Le terrain avait été labouré. La préparation d’artillerie, intense. Et là, maintenant, vous avez le résultat : le patron du FMI entré dans la peau du coupable qu’on avait fabriqué.


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