« L’Iran aura-t-elle l’arme atomique ?
– Sans doute.
– Le monde a-t-il les moyens militaires de l’en empêcher ?
– Probablement pas.
– Que nous est-il alors permis, sinon de faire, du moins d’espérer ?
– Que le gouvernement de la République islamiste ne tombe pas entre les mains d’un fou ! »

Je suis à Washington.

Dans un bar d’hôtel, à proximité de la Maison-Blanche.

Et l’homme qui me tient ce discours, David Brooks, auteur, par ailleurs, du célèbre Bobos in paradise, est l’un des intellectuels les plus éminents, en même temps que les mieux informés, de la mouvance néoconservatrice qui fait la pluie et le beau temps en Amérique.

Sur un point, je sais qu’il a raison : la détermination des fous de Dieu de Téhéran à se doter d’armes de destruction massive auxquelles, à quelque faction qu’ils appartiennent, et comme les Pakistanais, ils estiment avoir droit.

Sur un autre : l’aplomb avec lequel, à l’inverse des Pakistanais qui faisaient encore semblant de les présenter comme défensives, ils nous disent que les armes en question auront explicitement pour but de rayer Israël de la carte.

Sur un autre encore : le fait que nous n’en sommes plus au bon vieux temps des dictateurs qui, comme à Osirak, avaient l’obligeance de concentrer leurs usines d’enrichissement de l’uranium sur un site unique, identifié, facile à cibler et bombarder – eux, manifestement, les ont dispersées, enterrées, mises hors d’atteinte.

Sans parler de l’heureuse et confortable illusion selon laquelle Sunnites benladénistes et Chiites de Téhéran seraient, pour notre plus grande chance, voués à s’entre-déchirer : mais non ! toute l’histoire d’Al-Qaeda dans les années de son repli au Soudan, toute la chronique des relations entre Hezbollah et Hamas, tout ce qui a filtré des aveux de Khalid Shaikh Mohammed sur le soutien de Téhéran aux Saoudiens du 11 septembre, est là pour attester que la contradiction est secondaire face à l’objectif prioritaire, et partagé, qu’est la haine de l’Amérique, d’Israël, de l’Occident.

Le seul point de débat, alors, est de savoir si nous sommes, pour autant, si démunis que Brooks semble le dire.

Ou bien il a raison et, face à l’arrogance insensée d’un Président iranien qui se conduit comme s’il pensait la guerre inévitable et y courait, nous n’avons d’autre ressource que de spéculer sur l’hypothèse pour le moins douteuse de la rationalité de son successeur : ce serait la nouvelle la plus terrifiante de cette fin d’année et il y aurait là une menace en comparaison de laquelle les velléités guerrières de Saddam Hussein étaient une aimable plaisanterie.

Ou bien il se trompe et le monde n’a pas encore tout essayé pour arrêter ces gens qui, comme tous les totalitaires, comme Hitler, comme Staline, comme les Khmers rouges, comme les autres, annoncent la couleur, nous disent ce qu’ils préparent et spéculent, eux, pour le coup, sur la pusillanimité d’un monde libre qui, comme le notait déjà Malraux, est toujours et par principe en retard d’une résistance : mais il faut aller vite, dans ce cas, car il nous reste peu, très peu, de temps pour en apporter la preuve.

Je passe sur l’option militaire dont les Israéliens eux-mêmes nous disent des choses contradictoires : tantôt (Ariel Sharon, peu avant son hospitalisation) qu’elle est à leur portée – tantôt (rapport secret, récemment dévoilé par le quotidien Ydiot Ahahonot) que les avions de combat F16 CD de Tsahal ont un rayon d’intervention qui ne leur permettrait pas de frapper au-delà du site de Buscher.

Mais avons-nous épuisé l’arsenal, en revanche, des rétorsions économiques ?

Sommes-nous si dénués de moyens que cela, face à un adversaire qui vit du pétrole que nous lui achetons ? La plausibilité de la guerre atomique annoncée par Ahmadinejad ne mérite-t-elle pas que l’on s’interroge sur une politique énergétique qui nous fait, non plus exactement vendre la corde pour nous pendre, mais acheter l’énergie qui nous tuera ?

Et ces sociétés d’investissement, fonds de pension, banques, dont l’argent ne cesse de s’investir dans une économie directement ou indirectement devenue une économie de guerre ?

Et l’effort idéologique ?  Et le soutien à la société civile ? Et la main tendue, non au gouvernement terroriste, mais aux hommes et femmes terrorisés qui aspirent aux droits de l’homme et sont le vrai ressort d’un antitotalitarisme conséquent ?

Et les pressions diplomatiques ? Eux, les mollahs, ont bien rappelé, ces derniers mois, des dizaines de diplomates jugés, comme en Grande-Bretagne, trop mous, trop conciliants : que ne leur rendons-nous la pareille ? que n’expulsons-nous les voyous qui les remplacent et dont leurs représentations sont désormais truffées ? jusqu’à quand ces prétendues « négociations » qui ne servent qu’à leur faire gagner de précieux mois et, comme l’a lui-même dit Philippe Douste-Blazy, à « humilier » les démocraties ?

L’Amérique étant empêtrée dans son absurde guerre irakienne, c’est à nous, Européens, de poser ces questions – et il nous reste pour y répondre, je le répète, très peu de temps.


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