C’est le 22 octobre prochain que l’Italie commémorera le centenaire de la marche sur Rome.

Cette terrifiante et pathétique histoire aurait pu n’être rappelée qu’au titre des grands cauchemars conjurés.

Cette parade, ces faisceaux, ce défilé de squadristes moins nombreux que ne l’a dit la légende dorée du fascisme, ces bandes de laissés-pour-compte que l’on voit, dans le film de Dino Risi avec Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi, plus occupés à piller, à boire, à bambocher qu’à restaurer la grandeur italienne, le quadrumvirat minable et désemparé qui entourait Mussolini et qu’une averse manqua faire reculer, tout cela semblait appartenir au passé.

Et, pour les admirateurs de l’Italie, pour ceux qui, comme moi, voient le pays de Dante, du Tintoret et de Sciascia comme une deuxième patrie, le personnage même de Mussolini semblait définitivement figé dans le portrait grotesque qu’en ont laissé Gadda dans son Éros et Priape, Malaparte dans Le Grand Imbécile ou Antonio Scurati dans les premières pages de son M où l’on voit « l’homme de la providence » aux prises avec ses diarrhées, ses vomissements et ses spasmes ulcéreux.

Seulement voilà.

C’était compter sans les élections qui, le 25 septembre, soit quelques petites semaines avant le sinistre anniversaire, risquent de porter au pouvoir une coalition clairement nostalgique de cette scène noire.

Car Giorgia Meloni, cheffe de file des Fratelli d’Italia , eux-mêmes alliés aux partis de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini, a beau dire.

Elle a beau jurer ses grands dieux qu’elle a changé, qu’elle s’est dédiabolisée et que le temps n’est plus où elle déclarait que Benito Mussolini fut un « bon politicien », sans équivalent dans la vie politique nationale des « cinquante dernières années ».

Il y a deux choses au moins qui doivent alarmer, droite et gauche confondues, tous les démocrates italiens et, au-delà, européens.

D’abord son style. L’emblème de son parti, la flamme vert-blanc-rouge chère aux sympathisants du MSI, ce Mouvement social italien qui fut, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’héritier direct du parti fasciste interdit. Le tonitruant « L’Histoire nous donnera raison » qu’elle a lancé, Piazza Vittorio, à Rome, après la mise en minorité de Mario Draghi , et dont chacun comprit qu’il reprenait le fameux « L’Histoire me donnera raison » murmuré par Mussolini, quelques jours avant sa mort, dans sa dernière interview. Sa politique migratoire. Le presque incroyable acte manqué qui lui a fait installer son état-major de campagne là même, Via della Scrofa, où le MSI, en 1946, installa son siège. Sans parler de tel de ses alliés, Enrico Michetti, accusant le « lobby juif » de « décider du sort de la planète » et déclarant, en campagne pour la mairie de Rome, que le salut fasciste était, par temps de Covid, plus hygiénique que la poignée de main.

Mais non moins inquiétante est la sorte de relation qu’un gouvernement présidé par elle ne manquerait pas de nouer avec celui des dirigeants du monde, Vladimir Poutine, que son illibéralisme, son mépris de la démocratie et du droit, son culte de la force et du chef, sa violence, apparentent le plus clairement aux fondateurs du fascisme. Car, là encore, Mme Meloni a beau dire. Elle peut répéter tant qu’elle voudra que l’Italie, avec elle, ne remettrait pas en cause le principe des sanctions contre Moscou, elle a un allié, Silvio Berlusconi, à qui son amitié légendaire avec Poutine a fait dire, dans une interview au Komsomolskaïa Pravda, qu’il est « le leader qu’il faut » à la Russie car il est « un homme extraordinaire, simple et modeste, aux grandes qualités humaines ». Et elle en a un autre, Matteo Salvini, dont les liens avec le pouvoir russe ne sont pas davantage un secret – la presse italienne ne vient-elle pas de révéler comment son entourage, tandis qu’il projetait lui-même un discret voyage à Moscou, négociait avec l’ambassade russe à Rome la rupture de la coalition qui permettait à Mario Draghi de gouverner ?

Je ne connais pas Mme Meloni.

Mais il m’est arrivé de croiser Silvio Berlusconi.

Et, quant à Matteo Salvini, nous avons débattu, il y a deux ans, sur une chaîne de télévision italienne.

J’attendais Matamore – je trouvai Scaramouche.

On m’avait annoncé un condottiere – c’était un mélange de casinotier de film de Scorsese et de second couteau du clan Corleone.

Mais, surtout, j’avais face à moi le type même du poutinien d’Europe qui laissait déjà ses proches glaner roubles et pétrodollars à Moscou, qui négociait le futur du peuple italien dans des deals d’arrière-salles embuées de vodka et qui, parmi tous les déguisements dont il raffolait (un jour, pompier ; un autre, gendarme ; le lendemain, douanier), préférait encore les tee-shirts à l’effigie du maître du Kremlin.

Les Italiens méritent mieux.

L’Europe, dont l’Italie est le berceau et, plus que jamais avec le traité du Quirinal, l’un des vivants piliers, serait amoindrie par la victoire de ces gens.

Puisse la patrie de Gasperi et de Pasolini leur barrer la route.

Puisse-t-elle retrouver ce mélange de sagesse et de courage que ses anciens appelaient la virtu.

De ce risorgimento républicain dépend l’avenir du continent.


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