C’est un petit tweet de rien du tout. C’est une image comme on en trouve des dizaines, peut-être des centaines, tous les jours, sur les réseaux dits sociaux. Sauf qu’elle est postée, cette fois, par Gérard Filoche et qu’il s’en est fallu de peu que celui-ci fût, au Parti socialiste, candidat à la candidature lors de la dernière élection présidentielle.

On voit, sur cette image, Emmanuel Macron les bras en croix, dominant le monde, portant un brassard nazi où l’on a remplacé la croix gammée par un symbole du dollar. Se tiennent debout derrière lui, façon sages de Sion manipulant le jeune président, l’industriel Patrick Drahi, l’essayiste Jacques Attali et le banquier anglais Jacob Rothschild. Et l’on a tendu, en fond de décor, dans la plus pure tradition de l’extrême droite ancienne et moderne, le double drapeau américain et israélien.

Antisémite de gauche

Gérard Filoche s’est énervé quand des internautes mauvais coucheurs ont fait toute une histoire de ce tweet malencontreux dont il tint à préciser qu’il l’a trouvé sur le site d’Alain Soral et qu’il ne saurait donc en être tenu, de quelque manière, pour responsable. Il a été assez bon garçon pour l’effacer de son fil à la seconde même où il a compris que l’innocente plaisanterie avait pu être mal comprise par des camarades de parti abusés et chauffés à blanc par une méchante cabale. Et, entonnant le grand air de la calomnie de l’antisémite-qui-ne-peut-pas-l’être-puisque-son-meilleur-ami-est-juif, il a aussitôt, et lourdement, rappelé qu’il avait participé, du temps de sa folle jeunesse, à la fondation de SOS Racisme (c’est bizarre, mais j’en étais et n’en ai gardé aucun souvenir…).

Je ne connais, en fait, absolument pas ce sinistre M. Filoche. Si, d’ailleurs. Je l’ai croisé, une fois, une seule, à Lyon, il y a sept ans, dans l’enceinte d’un tribunal où nous venions témoigner, lui pour Siné, et moi pour Philippe Val et Charlie Hebdo. Mais, là, le portrait est craché. Et tout se tient formidablement. Ne seront surpris que ceux qui a) s’obstinent à douter de la permanence, en France et en Europe, d’un courant antisémite de gauche et d’extrême gauche qui, loin de désarmer, prospère chaque jour davantage ; b) cantonnent ce courant, quand ils veulent bien, du bout des lèvres, en admettre l’existence, aux banlieues déshéritées où l’on écoute encore Tariq Ramadan ; et c) n’ont toujours pas compris que ce mélange d’antisionisme, d’antiaméricanisme et de complotisme se moque tout autant des frontières des quartiers que de celles des familles et appartenances politiques.

Permanence de l’Idéologie française. Avatars d’une passion rouge-brun qui, de Soral à Filoche, ratisse en effet large. On annonce, sur le sujet, pour le tout début de l’année prochaine, un essai d’Alexis Lacroix, qui avait déjà donné, il y a dix ans, un Socialisme des imbéciles. Il sera, j’en ai peur, à nouveau le bienvenu.

Hommage d’un fils

Je connais, en revanche, Benoît Rayski, qui fut le patron de la rédaction de Globe, le magazine fondé, il y a trente ans, par Georges-Marc Benamou, Pierre Bergé et moi-même. Cela tombe bien. D’abord parce qu’il est l’un des premiers à avoir réagi (sur le site Atlantico) à cette affaire Filoche. Mais ensuite parce que cela m’incite à me plonger dans le livre qu’il m’a adressé il y a déjà plusieurs semaines et qui est, sous le titre Fils d’Adam (Exils), une émouvante lettre à un père disparu que j’ai, lui aussi, un peu connu et qui s’appelait Adam Rayski.

Portrait d’un juif polonais émigré en France et qui donne à son fils le nom d’un héros de Jack London… Plongée dans les réseaux des Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée dont il fut le chef politique et dont il n’est pas certain que l’on mesure encore pleinement toute la contribution au combat de la France libre… Passent des enfants traqués… Des hôteliers craintifs et courageux… Des rescapés d’Auschwitz pogromisés, dès 1946, parce qu’on les soupçonnait de vouloir récupérer leurs maisons ou que le bruit courait qu’ils avaient enfermé un enfant polonais dans une cave en vue d’un crime rituel…

Ici, c’est un personnage de John le Carré que l’on dirait passé par la « cavalerie rouge » d’Isaac Babel… Là, un jeune idéaliste qui comprend, mais trop tard, que les hommes de sa trempe étaient faits pour mourir et non pour gouverner… Là encore, un compagnon de lutte à qui on a lacé puis serré sur le visage, jusqu’à éclatement des chairs, un masque de cuir – et qui, pourtant, ne parle pas… Et puis là, non loin de l’immeuble de la rue Saint-Ferdinand où se cacha Drieu, un philosophe cinéaste qui méritait mieux qu’un jugement expéditif…

Adam Rayski fut-il l’un de ces poètes maudits du yiddishland qui passaient au communisme comme on brûle un caftan ou piétine une casquette ? Devint-il anticommuniste quand il comprit que ni la mémoire des Brigades internationales en Espagne, ni celle des fusillés du mur des Fédérés à Paris, ni celle – encore moins ! – des violoneux de Bialystok changés en cendre et en fumée ne trouveraient de réconfort et de renfort dans ces régimes officiellement « antifascistes » où l’on ne sait parler des sionistes qu’en les qualifiant de « hyènes » ou de « chacals » ? Et que penser de cette France qui prit pour argent comptant les accusations polonaises faisant d’Adam Rayski un agent triplement subversif car continuant de travailler, sous couvert d’anticommunisme, pour les services d’un pays communiste ?

Un fils rend justice à un père maudit et magnifique. Sans jamais se perdre dans le dédale d’une mémoire suppliciée et miraculeusement intacte, il lui dresse un tendre et abrupt tombeau de mots. Restent, à la fin, un éternel jeune homme, en loques, désormais maître du ciel et un écrivain vieilli qui se tient prêt à le rejoindre.


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