La frilosité de la communauté internationale face au référendum kurde du 25 septembre est une honte.

Voilà un peuple tour à tour déporté, arabisé de force, gazé et repoussé dans les montagnes où il a mené, pendant un siècle, une résistance exemplaire contre les maîtres successifs qui lui ont été imposés au mépris de la géographie et de son histoire millénaire.

Voilà une région devenue finalement autonome à la chute de Saddam Hussein et qui, lorsque le tsunami Daech s’abat, en 2014, sur l’ancienne Mésopotamie et que les troupes irakiennes se débandent, est la première à organiser la contre-offensive et, sur un front de 1 000 kilomètres, à contenir les barbares et à sauver, de la sorte, le Kurdistan, l’Irak et notre civilisation partagée.

Ce sont encore eux, les Kurdes, qui, au moment de la bataille de Mossoul, passent à l’offensive dans la plaine de Ninive, ouvrent les portes de la ville et font, grâce à leur vaillance, que l’État islamique soit touché au cœur.

Mais voilà que l’heure des comptes arrive et que, au lieu de les remercier, le monde, avec un cynisme qui laisse sans voix, leur dit : « Désolé, amis kurdes qui nous avez été si utiles, deux ans durant, face à la terreur ; nous n’avons plus besoin de vous ; vous pouvez rentrer chez vous ; merci encore ; à la prochaine. »

L’indépendance, raisonnent les uns, mettrait en péril la stabilité régionale : comme si la Syrie en guerre, l’Iran et le réveil de ses ambitions impériales, l’Irak même, ce faux État, création artificielle des Britanniques et en pleine décomposition, n’étaient pas des dangers bien plus grands que le petit Kurdistan, ami de l’Occident, laïque et démocratique, doté d’un parlement élu et d’une presse libre !

L’indépendance, insiste-t-on, menacerait l’intégrité territoriale des quatre pays (Irak, Iran, Syrie, Turquie) où la nation kurde est dispersée : comme si l’on ignorait que ce référendum ne concerne que les Kurdes d’Irak, lesquels n’ambitionnent nullement de former un grand Kurdistan avec des « frères » turcs et syriens, au leadership cryptomarxiste, dont tout les sépare idéologiquement !

Mais les pasdarans iraniens, continue-t-on ? Mais le terrible M. Erdogan qui aurait menacé de couper les routes qui relient la région au reste du monde ? Eh bien, je ne pense pas que ce soit le rôle des Occidentaux de se faire les porte-voix de deux dictatures qui les détestent. Et je ne vois pas au nom de quoi le chantage aux voisins, qui n’est pas permis à Pyongyang, le serait à Téhéran ou à Ankara.

Tout est bon, en réalité, pour justifier notre lâcheté. Et c’est comme un cauchemar orwellien où tous les arguments seraient retournés en leur contraire. Les Kurdes, dont l’État central de Bagdad ne paie plus la solde des peshmergas depuis des années, se sont organisés en conséquence et sont, d’ores et déjà, un îlot autonome de démocratie et de paix ?

Cela devrait leur suffire, décident les Norpois des chancelleries, et on ne voit pas l’intérêt qu’ils auraient à franchir ce dernier pas de l’autonomie à l’indépendance. Ils ont du pétrole ? Au lieu d’y voir une chance qui devrait rassurer, là, tout de suite, sur leur capacité à financer le développement du futur État, on affecte de ne songer qu’aux possibles futures convoitises que cette manne pourrait susciter. Et, quand enfin deux grands partis, les barzanistes et les talabanistes, se disputent l’électorat, ce qui, n’importe où ailleurs, serait perçu comme un signe de bonne santé républicaine est vu, ici, comme le germe de déchirements et de guerres à venir.

La vérité, c’est que c’est toujours la même histoire, à l’impensé colonial décidément indécrottable, des peuples jamais prêts, jamais assez adultes, jamais assez grands pour se gouverner.

C’est toujours la même tragédie de ces nations qui, comme disait le général de Gaulle qui en savait quelque chose, n’ont pas d’amis – oui, les services rendus… les promesses à demi-mot tant que l’on a besoin de vous… mais, quand vient l’heure de tenir parole, l’éternelle dérobade : pas le moment… pas dans le plan… le monde a un agenda et nous sommes au regret de vous informer que vous n’êtes pas dans l’agenda…

J’ai vécu une situation analogue, à la fin de la guerre de Bosnie. Le 7e corps de l’armée de Sarajevo était au bord, non seulement de libérer les villes assiégées, mais de rétablir l’unité du pays, d’obtenir la reddition des Serbes de Karadzic et Milosevic et de faire ainsi triompher à la fois la justice et la paix. Mais les États-Unis stoppèrent tout. Ils réunirent à Dayton l’agresseur (serbe), l’arbitre (croate) et la victime (bosniaque – menacée, si elle n’obtempérait pas, d’être abandonnée à son sort). Et ainsi fut signée, pistolet sur la tempe du président Izetbegovic, la partition de la Bosnie amie – sacrifiée à une paix facile et, aujourd’hui encore, bancale.

Puissent les mêmes piteux calculs ne pas produire les mêmes désastreux effets. Et puissent les héritiers des gazés d’Halabja tenir bon face à l’intimidation de tous ces amis qui leur veulent du bien et se souvenir, là aussi, du général de Gaulle qui, outrepassant les plans alliés prévoyant, à l’été 1944, de contourner Paris et de foncer directement sur l’Allemagne, décida de libérer sa capitale et de prendre ainsi sa part de la victoire commune.

Le référendum kurde n’est pas un coup de force. C’est un droit. C’est un dû. C’est un grand rendez-vous pour un grand peuple qui a tant donné au monde (hier, des Justes sauveurs de juifs ; aujourd’hui, des peshmergas protecteurs des derniers chrétiens d’Orient ; et, depuis bien plus longtemps encore, la formule de cet islam des Lumières qui est, dans le secret des âmes non moins que dans la fureur des batailles, la vraie réponse, partout, à la malédiction de l’islamisme radical) – il est temps, pour le monde, de lui faire honneur à son tour.


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