Il y a eu, vendredi dernier, à Strasbourg, trois rassemblements d’inégale dignité et importance. Les chefs d’État et de gouvernement réunis pour célébrer le soixantième anniversaire du traité de Washington, créateur de l’OTAN. Les représentants de la jeunesse d’Europe venus rencontrer le président Obama et devant lesquels je me suis exprimé. Et puis, à l’autre bout de la ville, dans la rue, des groupes d’altermondialistes qui s’étaient juré de saboter la journée et de faire – je les cite – de ce sommet de l’OTAN « un désastre ». Ils n’y sont pas parvenus, grâce au ciel. Mais leur présence même, leur arrogance, leur violence verbale et parfois, hélas, physique, leur certitude d’avoir raison, leur logorrhée, laissent néanmoins songeur…

Ce genre de déclarations – comment les plus raisonnables d’entre eux ne s’en avisent-ils pas ? – ne peuvent que décourager celles et ceux qui, en Afghanistan par exemple, voient se resserrer à nouveau l’étau de l’ordre noir des talibans et n’ont, comme maigre rempart, que le maintien des forces de l’OTAN présentes sur le terrain.

Elles retirent toute espèce de foi et d’espérance aux militants de la jeune démocratie géorgienne qui savent que seule la perspective, je dis bien la perspective, d’une association avec l’OTAN est de nature à conjurer les menées impériales d’un Poutine qui a déjà commencé d’annexer l’Abkhazie et l’Ossétie et dont les troupes, l’été dernier, campaient à Gori et jusqu’aux portes de Tbilissi.

Ils ne peuvent, en s’exprimant ainsi, que glacer les sangs de nos amis d’Europe centrale et orientale qui ont échappé, voilà très exactement vingt ans, au joug des prédécesseurs dudit Poutine ; qui savent combien ce type de victoire est fragile et, hélas, parfaitement réversible ; et qui n’ont, eux aussi, que l’OTAN pour tenir en respect une armée néostalinienne, mafieuse, qui n’a pas craint de réduire en cendres une Tchétchénie dont le plus grand malheur était d’être hors zone d’intervention otanienne.

Ils ne peuvent que plonger dans une terrible perplexité les citoyens de la non moins jeune – et, bien sûr, non moins imparfaite – nation du Kosovo qui n’ont pas oublié, eux non plus, que c’est à l’OTAN, et à l’OTAN seule, qu’ils doivent d’avoir mis en déroute, dix ans plus tard, le tristement célèbre Slobodan Milosevic – national-communiste émérite, tueur compulsionnel, psychopathe, qui avait achevé de faire d’eux des étrangers dans leur propre pays et que seule l’OTAN, je le répète, obligea à lâcher prise.

Ils insultent, que dis-je ? ils tuent une seconde fois, symboliquement, les 200 000 Bosniaques que la France, l’Angleterre, toutes les grandes démocraties en fait, les Nations unies elles-mêmes, bref, la communauté internationale tout entière, avaient laissés, pendant des années, se faire tirer comme des lapins par les snipers serbes embusqués sur les hauteurs de Sarajevo – seule, là encore, cette Otan mal famée, vilipendée, chahutée par les manifestants encagoulés, a fini par dire « stop » et par arrêter le bain de sang.

Et je ne parle pas du président Obama, dont c’était la première visite en Europe et que les commandos de l’antilibéralisme enragé insultaient, d’une certaine façon, lui aussi : et quand ce ne serait qu’Obama ! le drame c’est qu’en proférant ces slogans imbéciles, en dénaturant une organisation qui, sous prétexte qu’elle reste, à ce jour, sous influence américaine, ne saurait être qu’une organisation maudite et quasi nazie, ils insultaient, à travers Obama, tous ceux qui, aux États-Unis et dans le monde, croient en sa capacité à instaurer un ordre plus juste.

Les altermondialistes, une fois de plus, n’ont rien compris.

Ils se veulent les porte-drapeaux des humbles, des petits, des sans-grade – alors qu’ils se conduisent en nantis que le sort du monde indiffère.

Ils se disent soucieux du droit, des droits de l’homme, de la démocratie – mais quel crédit leur accorder quand on les voit, MM. Mélenchon et Besancenot en tête, tenter de bloquer le fonctionnement d’une alliance de démocraties dont toute la vocation est, soit de défendre les démocraties attaquées, soit de promouvoir et renforcer les valeurs démocratiques dans les sociétés où elles sont naissantes et encore fragiles ?

Ce sont des amoureux du genre humain que l’on n’a jamais vus, bizarrement, avoir un mot de révolte ou de compassion face au martyre du Rwanda ou du Darfour.

Ce sont des idéologues qui, pourvu que triomphent leurs idées fixes, veulent bien que périssent, outre les Bosniaques et les Kosovars, les victimes sans nombre, sans nom et sans visage de toutes les guerres oubliées auxquelles ne s’appliquent pas leurs schémas préfabriqués.

Je ne dis pas que l’OTAN soit une organisation parfaite ni idéale.

Je ne nie pas qu’il y ait lieu de la réformer afin de la rendre plus démocratique encore, plus ouverte.

Mais je me souviens du mot de François Mitterrand notant, en pleine guerre froide, que les pacifistes étaient à l’Ouest alors que les missiles étaient à l’Est. Et j’ai presque envie de dire, en le parodiant à peine : les casseurs, à Strasbourg, étaient dans la rue, tandis que les démocrates sont dans l’OTAN.


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