Washington.

Débat, à l’instigation du Foreign Policy Institute, avec le sénateur John McCain, qui fut le challenger d’Obama lors de sa première élection, en 2008.

L’homme est affable.

Mesuré.

Avec son passé de gloire militaire, avec son allure, son panache, avec la façon qu’il semble avoir de ne concevoir la politique qu’adossée à un minimum de principes et de valeurs, il change de Mitt Romney et incarne, je le dis d’entrée, ce que le Parti républicain produit de plus respectable.

Et le débat se passe plutôt bien jusqu’au moment où, en réponse à une remarque de lui (navrée ?) sur le fait que c’est la France, et non l’Amérique, qui aura eu le leadership sur les trois dossiers brûlants que sont la Syrie, le Mali et, bien sûr, la Libye, je réponds (courtois, mais convaincu !) que rien ne fut, ni ne sera, possible sans l’alliance vitale, fraternelle, avec les États-Unis ; et j’ajoute cette petite phrase qui jette un froid étrange : « en Libye, trois femmes ont sauvé l’honneur – la conseillère d’Obama, Samantha Power ; sa secrétaire d’État, Hillary Clinton ; son ambassadrice aux Nations unies, Susan Rice. »

La vérité, je l’ignore à cet instant, est que mon interlocuteur sort juste d’une réunion où, avec les sénateurs Graham et Ayotte, il a auditionné Susan Rice et qu’il a, au terme de cette audition, donc quelques minutes avant que ne commence notre débat, exprimé son refus de la voir, comme on en prête l’intention au président, succéder à Hillary Clinton au poste de secrétaire d’État.

Et la vérité est aussi – ça, je le sais un peu mieux – que notre conversation tombe à un moment où un nombre croissant d’observateurs (tout récemment, le 16 novembre, l’éditorial non signé du très anti-Obama Wall Street Journal) tentent d’instiller le doute, non seulement sur le succès, mais encore sur le bien-fondé de cette juste guerre menée en Libye par nos deux pays avec le soutien de la Grande-Bretagne et de la Ligue arabe.

Sur le premier point, c’est-à-dire sur le reproche fait à celle qui fut la fervente avocate, à l’ONU, de la « responsabilité de protéger », d’avoir, un an et demi plus tard, lors du meurtre, à Benghazi, de l’ambassadeur Stevens, sciemment caché à l’opinion le caractère planifié, donc terroriste, de l’attentat (et ce, pour ne pas affoler les gens à la veille d’une élection serrée), je n’ai pas toutes les données : mais est-il impensable, vraiment, qu’elle n’ait pas disposé, elle non plus, dans l’instant, de tous les éléments ? que l’analyse de la CIA ait évolué au fil des jours ? et, quand bien même ce ne serait pas le cas, ne fait-on pas à Mme Rice un bien mauvais procès ou, ce qui revient au même, un procès bien partisan (déjà la bataille de 2016… déjà Hillary en ligne de mire…) en lui reprochant d’avoir livré au compte-gouttes des informations qu’aucune administration au monde ne traite jamais à chaud, dans la transparence, sans précautions ?

Sur le second point, en revanche, c’est-à-dire sur l’histoire de la guerre elle-même, je me souviens de ce jour, 17 mars, où le vote de la résolution permettant de porter secours aux civils de Benghazi tenait à un fil – celui, oui, de la volonté de cette femme de fer ; je me souviens du soir où, trois jours plus tôt, à Paris, alors que les dirigeants du monde s’étaient, à l’exception de Sarkozy, Cameron et quelques autres, déjà lavé les mains de ces rivières de sang promises à son peuple par Kadhafi, j’amenai Mahmoud Jibril, alors Premier ministre du CNT, à Hillary Clinton ; je me souviens de son émotion ; je me souviens de sa détermination ; je me souviens de la pression qu’elle exerça alors, contre l’appareil militaire de son pays, en faveur du ralliement à la position française ; et je me souviens donc com- ment cette autre femme a sauvé la Libye et l’honneur.

Aujourd’hui ?

Aujourd’hui la Libye, contrairement à ce qu’annonçaient les Cassandre, n’a pas éclaté en trois entités confédérées.

Les kadhafistes n’ont, à de notables et terribles exceptions près, pas été victimes de cette justice expéditive, voire de cette vendetta généralisée dont de grands pays, comme la France, ont jadis donné l’exemple.

Les islamistes ont perdu les élections.

La loi des tribus n’a, contrairement à ce qui était prédit, pas prévalu sur le sentiment d’unité nationale, forgé dans le feu des combats.

Quand un groupe de sauvages masqués tuent un ambassadeur, ce sont des milliers de civils qui, à visage découvert, descendent aussitôt dans la rue pour réclamer le châtiment des assassins, le désarmement des milices et, non seulement la justice, mais la vérité sur la mort de leur « frère Chris Stevens ».

Et quant au Premier ministre issu des premières élections libres qu’ait jamais connues ce pays et à qui incombe la redoutable tâche de construire, à partir de rien, une police, une armée, un État et même une société civile, c’est un homme, Ali Zeidan, qui a voué sa vie à la défense des droits de l’homme et qui est l’incarnation même de cet islam modéré, démocrate, ouvert à l’Occident, que nous appelons tous de nos vœux.

La révolution démocratique, en Libye, ne se fera pas en un jour.

Elle passera par d’autres soubresauts, convulsions, régressions.

Et sans doute faut-il regretter que ceux qui furent à ses côtés dans sa guerre de libération ne soient pas plus présents, plus actifs, à l’heure de la reconstruction.

Mais, pour l’heure, le fait est là : la Libye, comparée à la Tunisie et à l’Égypte, fait figure de printemps réussi – et ceux qui l’ont aidée peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait.


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