La clique policière d’un État assassin se venge d’un président de la République qui se rapproche du Maroc et, en reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, prend ses distances avec l’Algérie.
Elle fait payer à un écrivain sa rage contre un « ennemi français » jugé coupable de tous ses maux, de toutes ses misères et de son propre acharnement à ruiner ce qui restait d’espérance des Aurès à la Mitidja et au Constantinois.
Au général de Gaulle qui, en 1961, en pleine guerre d’Algérie, s’exclamait à propos de l’un de ces porteurs d’espérance, Jean-Paul Sartre, « On n’arrête pas Voltaire », le président Tebboune répond : « Eh bien moi, oui, j’arrête Voltaire ; j’arrête l’esprit libre, le contempteur de ma propre bêtise et, parfois, de celle de la France, partout où il circule ; à la grandeur gaullienne s’inclinant devant la littérature, je réponds, moi, petit Tebboune, par une inversion carnavalesque et lugubre en appréhendant, séquestrant et mettant au secret un écrivain au seul motif qu’il est écrivain. »
Et la chose advient – ce n’est sans doute pas un hasard – au moment où le même président voyou, devenu preneur d’otage, lâche ses chiens sur un autre écrivain, lui aussi d’origine algérienne, mais sur lequel il n’a pas de prise : le Goncourt Kamel Daoud, accusé par des imbéciles de s’être, pour son roman, inspiré d’une histoire vraie dont il n’aurait pas eu connaissance sans une « violation », par son épouse psychiatre, d’un « secret médical ».
Nous en sommes là.
Voilà comment cette Algérie qui fut grande traite les plus prestigieux de ses fils.
Voilà où nous en sommes, confrères ou amis de Sansal, « Internationale des lettres » au grand complet, comme au temps où il fallait tirer Vaclav Havel des geôles tchèques, Jacobo Timerman de celles d’Argentine, Armando Valladares de Cuba, Lê Công Dinh du Vietnam ou Wei Jingsheng de Chine.
Nous voilà revenus aux bonnes vieilles méthodes de la loi du tapage, inventée justement par Voltaire, puis par Sartre, puis réinventée par la génération des intellectuels antitotalitaires des années 1970 : chaque fois le même mélange de solidarité, d’impuissance et d’appel aux gouvernants qui, lorsqu’ils consentent à donner de la voix et à renvoyer aux maîtres-chanteurs les bonnes armes d’un chantage démocratique et inversé, peuvent, eux, bien plus que nous – zéro visa par exemple pour les hiérarques d’un régime qui ne se privent pas, lors même qu’ils crachent sur la France, de venir s’y faire soigner ou y prendre des vacances…
Et la réaction n’est, pour l’heure, pas trop indigne de l’événement.
Une réserve toutefois.
Si la mobilisation des pairs de Sansal a bien eu lieu, si la réaction de la presse est, pour l’essentiel, à la hauteur et si nombre de responsables politiques de premier plan ont réagi avec fermeté, on est tout de même frappé par l’assourdissant silence des autres, notamment à gauche et, tout particulièrement, à la direction des partis de la mouvance dite progressiste.
Parce que les fins limiers du « Poète, vos papiers ! » soupçonnent l’auteur du Serment des barbares de pencher à droite ?
Parce qu’il aurait commis son « grave dérapage » – ainsi parlent, sans rire, les flics sans uniforme de la presse algérienne d’aujourd’hui – sur un site d’extrême droite ?
Parce qu’il aurait une fâcheuse tendance, dans ses interviews et ses livres, à revisiter les ombres de l’histoire de son pays d’origine et à ne pas oublier, ce faisant, les pages sombres de sa guerre de libération ?
Peut-être.
Mais il y a aussi un petit livre, le moins connu de tous, paru au Cerf, qui s’intitule Le français, parlons-en ! et où ce citoyen récent, Français par l’encre versée et à la dégaine de vieil Apache, se permet d’apostropher ses nouveaux compatriotes en leur lançant à la figure : vous laissez mourir votre langue ! vous dilapidez le plus précieux de vos trésors ! la moitié de ce qui se dit dans vos rues et vos médias n’est pas « du français certifié ».
Scandale chez les fanatiques de la souche qui se demandent de quoi se mêle ce Français de papier.
Mais désordre, aussi, chez les wokistes pour qui un Français d’origine algérienne est à jamais un « colonisé », à la rigueur un « décolonisé », mais en aucun cas un Français plus que français ayant la nostalgie d’un temps, celui de la révolution algérienne, où ses deux patries parlaient, « à l’accent près », le même français.
Et, chez tous les identitaires qui voient les identités comme des prisons, les races comme des essences et raisonnent donc comme des racistes, stupeur, pour ne pas dire fureur, à l’idée de ce « racisé » qui se permet d’écrire « notre langue » quand il parle des poèmes de Baudelaire ; qui a l’audace de penser qu’elle est, cette langue, « la plus difficile du monde » (encore un peu et il dirait « la plus belle » !) ; et qui a le culot d’ajouter qu’elle ne parle pas seulement aux hommes mais « aux anges, aux esprits et aux oiseaux du ciel ».
Manque de chance ! Sansal, si l’on tient à parler ainsi, ne connaît, comme Daoud, qu’une race : celle des âmes fortes, des libres esprits et de leur vocation à l’Universel.
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