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Bangladesh : le premier engagement

Bangladesh : le premier engagement

Reportage par Marc Roussel

Un demi-siècle d’engagement.

C’est le bilan provisoire d’une aventure politique et humaniste commencée par Bernard-Henri Lévy dans le Pakistan oriental de 1971.

À l’appel d’André Malraux, le jeune Normalien se joint alors aux rebelles Mukti Bahini en lutte pour l’indépendance du pays.

Nous y sommes retournés, caméra au poing, filmer d’improbables retrouvailles, attester l’inhumanité des slums de Dacca et la solidarité, la dignité, malgré tout, des Rohingyas sommés de survivre dans le plus grand camp de réfugiés au monde.

Dacca – Mars 2020

« En plein Dacca, les décombres du bidonville de Rupnagar, monté sur pilotis […] ; le cloaque d’eau noire, pestilentielle, sur lequel cette favela lacustre était bâtie et qui apparaît, maintenant, à ciel ouvert ; […] il est à peine midi, au milieu des déchets, des égouts crevés, des cadavres de rats et des tisons de bambou en train de pourrir. »

Bernard-Henri Lévy, La Route des hommes sans nom
Dacca – Mars 2020

« Ces vieilles dames […] sont des Birangona. Littéralement, des héroïnes de la nation. Sauf qu’elles doivent cette qualité au fait qu’elles furent, pendant la guerre, comme 400 000 autres, abusées par la soldatesque pakistanaise ; et que, confronté, neuf mois plus tard, lors de la proclamation de l’indépendance, à la naissance des enfants de ces viols, le premier président du pays, Mujibur Rahman, a pris cette décision historique : au lieu, comme dans la plupart des sociétés traditionnelles, de les maudire et de les bannir, il les a décrétées, lui, père de la nation, les égales de ses filles… »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Dacca – Mars 2020

Dans le bidonville de Rupnagar, encore…

« … un homme aux yeux d’ascète, vêtu d’un simple pagne et coiffé d’une charlotte, qui semble faire ses ablutions – mais non, il plonge dans l’eau lourde et la vase pour récupérer des bouts de tôle qu’il ira vendre, quelques takas, au marché aux puces de Kawran Bazar… »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Jessore – Mars 2020

« Eh oui, Jessore. C’était il y a presque cinquante ans. J’avais, ainsi qu’une poignée d’autres, répondu à l’appel d’André Malraux […]. C’était à peine une ville à l’époque. Il n’y avait ni cet aéroport. Ni cet enchevêtrement de maisons coloniales, d’immeubles neufs inachevés et de huttes de boue. Ni cette population d’enfants en guenilles, de marchands de zébus et de mendiants découragés, intrigués par le spectacle de cet étranger, ému aux larmes […]. Mais c’est le même ciel pâle. Le même parfum aigre, mêlé aux relents de l’huile de coco cuite »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Jessore – Mars 2020

Un habitant de Jessore, vétéran du combat pour l’Indépendance du Bangladesh, interpelle Bernard-Henri Lévy. Il se souvient d’un jeune homme, portant une veste jaune, qui défendait la lutte pour un Bengale libre face à l’oppression de l’armée pakistanaise : le jeune homme en question, remémoré lors de cette rencontre, n’est autre que le philosophe.

Jessore – Mars 2020

Bernard-Henri Lévy retourne sur les traces de sa jeunesse engagée, dans la chambre qu’il occupait à Dacca.

« Je ne suis pas sûr de reconnaître le lit de sangle. Ni la table où sont rangés de vieux recueils de poésie bengalie. Mais ce qui n’a visiblement pas bougé, c’est ceci : posés contre le mur, à même le sol, près d’un petit autel chargé de fioles à encens, bougies, assiettes de victuailles, images pieuses multicolores, grelots sacrés, deux portraits délavés, noir et banc, de Marx et de Lénine révérés à l’égal de Shiva et Vishnou. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Jessore – Mars 2020

Toujours à Jessore…

« Sitôt sorti du bazar, sur les deux bords de la route mal carrossée que se dispute une cohue de pousse-pousse, de charrettes pleines de fagots et de bus, bondés jusqu’au toit, dont on craint, à chaque virage, qu’ils ne se renversent, la même morne plaine où croupit l’eau des rizières. Bangladesh de mes 20 ans. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Cox’s Bazar – Mars 2020

« Le hasard fait que j’arrive à Kutupalong, près de Cox’s Bazar, le camp de réfugiés géant où sont regroupés, depuis presque trois ans, près d’un million de Rohingyas fuyant la persécution antimusulmane en Birmanie, quelques jours après une visite à Moria, sur l’île grecque de Lesbos, où arrivent les Syriens qu’Erdogan renvoie vers l’Europe. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Cox’s Bazar – Mars 2020

Bernard-Henri Lévy dialogue avec des réfugiés du camp de Cox’s Bazar.

« Leçon de courage de ces Rohingyas qui ont tout perdu, fors leur dignité. Mais leçon d’humanité des Bengalais qui n’ont rien mais trouvent la force de le partager, ce rien, avec les 900 000 hôtes de ce purgatoire de vivants. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Cox’s Bazar – Mars 2020

Le sort des enfants du camp de Cox’s Bazar fait écho à celui, tragique, des autres enfants délaissés du Bangladesh, les enfants exploités dans les usines de textile.

« … j’avais oublié la misère du Bangladesh. J’avais oublié les ateliers de la sueur où l’Occident sous-traite à des petits-enfants de Mukti Bahini, âgés d’à peine 12 ans, les travaux dont il ne veut plus. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Cox’s Bazar – Mars 2020

Portrait de femme, réfugiée au camp de Cox’s Bazar, par Marc Roussel.

Cox’s Bazar – Mars 2020

« Ce dont on ne parlait pas jadis mais qui, aujourd’hui, saute aux yeux, c’est que, s’il y a bien un endroit au monde où menace la catastrophe climatique, c’est ici. Le Bangladesh est un pays delta. C’est une terre aux sept cents rivières dont certaines sont nées, comme le Gange et le Brahmapoutre, dans tout le sous-continent et se sont donné rendez-vous ici, comme pour mieux se jeter dans le golfe du Bengale. […] Cet archipel dont je me souviens, en face de Cox’s Bazar : il a disparu… Ces îles carrées, plus au nord, à la végétation chétive, dont je n’ai, en revanche, pas d’image : c’est la rizière qui a été inondée et les monticules de terre chauve sont tout ce qui en reste… »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Cox’s Bazar – Mars 2020

« Et puis ces bateaux lune, sur la route de Chittagong, dont on va décharger les filets, fûts de saumure et mats de rechange : pourquoi cette forme étrange, incurvée vers l’intérieur, aux deux extrémités, comme un panier ? pour ramasser l’étrave et l’aider à passer les bancs de sable qui sont le reste des anciennes terres ? pour braver la montée des eaux ? ou pour amadouer le monstre dans ce pays où, contrairement au dire du poète, ce n’est pas le désert qui croît, mais la mer ? Je ne sais pas. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom
Cox’s Bazar – Mars 2020

Dernière étape de ce reportage, sur la route de Chittagong.

« Je fus parmi les premiers à prendre le chemin, jadis, de ce pays magnifique et maudit. […] Ne reste, pour les amis du Bengale, qu’à prier et espérer. »

Bernard-Henri Lévy, Sur la route des hommes sans nom

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