Au moment – lundi 29 juin – où j’écris ces lignes, nul ne sait comment tournera la crise grecque. Mais j’ai assez dit, ailleurs, la colère que m’inspire l’Europe sans âme d’aujourd’hui, sans projet digne de ce nom et infidèle à ses valeurs non moins qu’à ses pères et moments fondateurs, j’ai assez dénoncé l’aveuglement, à quelques notables exceptions près (Jacques Delors…), de la plupart des acteurs de l’époque sur les tours de passe-passe permettant, il y a quinze ans, l’entrée précipitée de la Grèce dans la zone euro, pour m’interdire de dire, aussi, les sentiments que m’inspire l’attitude, ces jours-ci, de M. Tsipras. Car que lui demandaient, à la fin des fins, et à ce stade de l’histoire, les représentants de ce que, dans une rhétorique qui n’est pas loin de celle de l’extrême droite grecque, il n’appelle jamais que « les institutions » ?

Un effort fiscal minimal, dans un pays où il serait temps d’entendre que disposer d’une administration solide, capable de lever l’impôt et de le répartir équitablement est, aux termes de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, un principe élémentaire sans lequel il n’y a pas de démocratie qui tienne.

Un relèvement à 67 ans, sauf dans les métiers à haute pénibilité, de l’âge moyen de départ à la retraite comme ce sera, à plus ou moins court terme, le cas aux Pays-Bas, au Danemark, en Grande-Bretagne, en Allemagne, autrement dit dans un grand nombre des pays dont on sollicite la solidarité des citoyens (sans même parler des États-Unis où il y a, actuellement, débat sur le report de 67 à… 70 ans !).

Une diminution – mais pas immédiate – d’un budget de défense qui n’est peut-être pas absurde compte tenu de la situation géostratégique du pays, mais dont on peut tout de même noter qu’il est, en pourcentage, le plus élevé de l’Union européenne et qu’il place la Grèce de Syriza au cinquième rang des importateurs d’armes, juste derrière l’Inde, la Chine, la Corée et le Pakistan.

En échange de quoi M. Tsipras s’était vu offrir une nouvelle tranche d’aide de la part d’un FMI dont il a tendance à oublier qu’avant d’être une pompe à phynances à la manière d’Alfred Jarry et à sa seule disposition, il est un fonds supposé aider, aussi, le Bangladesh, l’Ukraine ou les pays d’Afrique ravagés par la misère, la guerre et l’échange inégal – et, par ailleurs, un allégement-restructuration des aides antérieures à 2011 dont chacun sait qu’elles ne seront, en réalité, pas remboursées.

Peut-être Mme Lagarde, sa bête noire avec Mme Merkel, a-t-elle mal « communiqué ».

Mais tel était l’état réel de la négociation quand il a unilatéralement choisi, ce vendredi 26 juin, de la rompre.

Et c’était, compte tenu du passif et des erreurs du passé, le mieux qui pouvait être offert par un Fonds monétaire international qui avait à décider, au même moment, l’avant-dernier décaissement des sommes promises à la Tunisie, le maintien ou non de la facilité élargie de crédit au Burundi et la révision des plans d’aide aux systèmes de santé des pays les plus frappés par le virus Ebola.

À ce plan, M. Tsipras a choisi de répondre en reprenant, là aussi, la rhétorique de l’extrême droite sur la prétendue « humiliation grecque ».

Au lieu de pointer les vrais responsables de la crise que sont, entre autres, les armateurs offshorisés ou le clergé orthodoxe défiscalisé, il a repris jusqu’à la nausée l’antienne nationale-populiste sur le méchant euro étranglant l’exemplaire démocratie.

Et il a fini, à bout d’arguments, et entre deux visites à Poutine, par concevoir cette idée de référendum qui, compte tenu du contexte, des délais et du soin pris, surtout, à obscurcir les termes de la question, ressemble moins à une juste et saine consultation populaire qu’à un chantage en bonne et due forme à l’adresse de l’Occident.

Dira-t-on que son prédécesseur social-démocrate, Georges Papandréou, n’a pas fait autre chose, au moment de la crise financière, il y a cinq ans ?

Justement non.

Car il s’agissait, pour Papandréou, de voir accepté par ses concitoyens un plan de sauvetage qu’il avait étudié, discuté, validé.

Alors qu’il s’agit, pour Tsipras, de leur faire endosser la coresponsabilité d’un naufrage dont lui, et lui seul, par un mélange d’irresponsabilité, d’esprit de système et, probablement, d’incapacité à trancher, a pris le risque historique.

On sent, derrière l’opération, la lutte de courants minable au sein de Syriza.

On devine, derrière ce coup de poker qu’il a probablement cru habile, le politicien ménageant l’aile radicale de son parti en même temps que son image, son avenir personnel, ses arrières.

Mais est-ce ainsi que l’on gouverne un grand pays ?

Et la Grèce ne mérite-t-elle pas mieux que ce démagogue pyromane s’alliant avec les néonazis d’Aube dorée pour faire avaler au Parlement son projet de plébiscite ?

C’est lui-même, Alexis Tsipras, qui avait rétorqué au président du Conseil européen, Donald Tusk, lui lançant « the game is over » dans les derniers temps de la négociation : « La pauvreté d’un peuple n’est pas un jeu ! »

Eh bien, on a envie de lui retourner le compliment et de lui rappeler qu’elle ne se joue pas non plus, cette pauvreté, au poker ou à la roulette grecque – et qu’on ne mène pas son peuple au précipice pour se sortir de l’impasse où l’on s’est soi-même enfermé.


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