Hitler attendant la fin des Jeux olympiques d’hiver qu’il venait d’organiser, à grands frais, dans la station de Garmisch-Partenkirchen, pour, quelques semaines plus tard, remilitariser la Rhénanie… Le même Hitler arguant, en 1938, du fait que les Sudètes parlaient l’allemand pour envahir la Tchécoslovaquie… Cela ne vous rappelle rien ? Sur le Maïdan de Kiev où je suis invité, pour la deuxième fois, à prendre la parole, pas besoin de faire un dessin. C’est l’exact paradigme de ce qu’ont à subir les Ukrainiens, aujourd’hui, avec l’occupation surprise de la Crimée. Et c’est le même argument du « nationalisme linguistique » dont nous savons, depuis Hérodote l’opposant au nationalisme citoyen que les Grecs étaient en train d’inventer, qu’il a toujours pour corrélat la guerre, le nettoyage ethnique, l’exclusion. Je sais qu’il ne faut pas comparer l’incomparable. Et l’hitlérisme est, une fois pour toutes et par principe, ce qu’il ne faut jamais évoquer qu’avec crainte, stupeur et tremblements. Mais il n’est pas interdit de noter les lapsus, les hoquets ou les bégaiements de l’Histoire. Et le cours des choses a, lui aussi, ses traits d’esprit, ses Witz, mais grinçants et noirs, qui, soudain, glacent les sangs. Imaginons que tel parti flamand s’autorise de l’exemple poutinien. Ou la Ligue du Nord en Italie. Ou les Serbes de la Republika Srpska. Ou telle de ces minorités linguistiques hongroises, roumaines ou macédoniennes dont Istvan Bibo (1911-1979) a montré, dans son grand livre, Misère des petits États d’Europe de l’Est, qu’elles sont la plaie du continent. C’est tout l’équilibre régional qui en serait déstabilisé. C’est l’Europe même qui exploserait. Ce serait la sudétisation générale de nos États nations.

Une émission dominicale de Canal Plus où l’on me fait, pour la énième fois, le coup du Front national se présentant en « M. Propre » de la vie politique française. Je renvoie au travail engagé, sur le site de La Règle du jeu, depuis maintenant près de trois semaines, et qui prouve exactement le contraire. Un portrait par jour d’un candidat frontiste aux municipales… Un travail d’investigation fouillé, candidat par candidat, à la base du parti… Et un tableau qui est, d’ores et déjà, et alors que nous ne sommes qu’à mi-parcours de notre enquête, passablement édifiant… Une saillie de l’un faisant applaudir le nom de Bastien-Thiry, l’homme qui manqua tuer le général de Gaulle. Le goût de celui-ci, à Maubeuge, pour les emblèmes et les insignes néo-nazis. La passion de celui-là, ailleurs, pour les vidéos de David Duke, figure du Ku Klux Klan, et expliquant que Sarkozy « orchestre le génocide français ». Le cas de ce troisième, candidat à Caen, se faisant prendre à transporter un stock d’armes à feu dans le coffre de sa voiture. Cet autre, candidat à Six-Fours, condamné, en 2000, à un an de prison, dont six mois ferme, pour « violence en réunion avec arme ». Cet autre encore, qui se présente dans la cinquième circonscription de Marseille, et qui, aux cantonales de 2011, avait pris comme directeur de campagne un homme condamné, dans le cadre d’une enquête sur la profanation d’un cimetière juif, pour avoir dissimulé un fusil d’assaut et les éléments d’une bombe. Cet autre, à Marseille toujours, président de l’association de soutien aux trois colleurs d’affiches du FN qui, le 21 février 1995, ont assassiné Ibrahim Ali. Ou ce candidat qui, à Agde, qualifie votre hebdomadaire préféré de « merde antinationale à la solde de ces put… de g… et de j…» (sic). Le moins que l’on puisse dire est qu’en matière d’insécurité, de violence et, si les mots ont un sens, de corruption, le parti de Mme Le Pen n’a de leçons à donner à personne.

Jadis, dans les khâgnes, on nous enseignait qu’il y eut, dans le théâtre antique, passé la période des trois grands tragiques, deux tendances. La ligne Aristote : priorité au sens, donc au texte – avec tout le côté catharsis, purge des passions, etc., qui va avec. Et puis la ligne Plaute et Térence : ces comédies romaines qui donnaient l’avantage au jeu, à tous les sens du jeu – du scénique au ludique, du drame à la farce, en passant par le jeu des mots comme on dit d’un bois mal fixé et qui joue… La situation n’a guère changé depuis. Sauf qu’il y a des metteurs en scène qui alternent, ou combinent, les deux traditions. Ainsi Luc Bondy qui est, en principe, un homme de textes mais qui me semble, avec sa relecture, au Théâtre de l’Odéon, des Fausses Confidences de Marivaux, clairement pencher, cette fois, pour la ligne Térence et Plaute. Espaces mobiles et temps immobile. Tremblé de la psychologie et figé de la marionnette. Pas de vrai début. Pas de vraie fin. Construction et déconstruction, permanentes, de décors solidement architecturés en même temps qu’étrangement flottants. Fête de l’esprit. Rêve éveillé. Intelligence de la lumière et douce folie des dialogues. Scènes brechtiennes qui se transforment, d’un instant l’autre, en nuits shakespeariennes étoilées. Et une Isabelle Huppert, joueuse et grave, mutine et mélancolique (n’oublions pas qu’il s’agit de l’ultime pièce, crépusculaire, de l’auteur des Jeux de l’amour et du hasard), qui semble égarée entre langage et silence, réel et illusion, goût de la vérité et art du faux. Beau travail. Grand théâtre.


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