J’ai parlé, sous les bombes, aux combattants de Sarajevo. J’ai parlé, après leur libération, aux amis de Belgrade, en Serbie.

Je suis heureux, et ému, de parler aujourd’hui au peuple libre de Kaboul. Et je voudrais avant tout saluer les artisans de cette liberté. […]

Je salue le peuple de Kaboul, ses résistants de l’ombre, qui ont tenu bon sous la dictature des Soviétiques, puis sous la pluie de bombes des seigneurs de la guerre, puis la férule enfin, sanglante et absurde, de l’ordre taliban.

Je salue en particulier les femmes, celles qui sont ici et celles qui n’y sont pas encore – je les salue parce qu’elles furent doublement martyres, parce qu’elles furent doublement opprimées, et qu’elles sont en première ligne de votre combat pour la dignité des droits humains. […]

Il y a, entre votre pays et le mien, une longue et belle histoire d’amour.

De votre côté, un roi éclairé qui, au début du siècle dernier, dans le respect des traditions afghanes, ouvrit l’Afghanistan sur le monde et la modernité. Un autre roi, que vous attendez tous ici, Zaher Chah : il a fait ses études en France, il œuvra pour que s’ouvrent, à Kaboul, deux magnifiques lycées français, il fit appel à des Français pour aider à la rédaction d’une Constitution démocratique qui donnait, entre autres, le droit de vote aux femmes. Et puis Massoud enfin, ancien élève du lycée Istiqlal, admirateur d’un autre résistant, Charles de Gaulle, dont je me souviens lui avoir offert, un jour, dans le Panchir, les Mémoires de guerre et les Mémoires d’espoir – Ahmed Chah Massoud qui, lorsqu’il jugea venue l’heure d’alerter le monde sur la menace que faisaient peser les talibans et Al-Qaeda, choisit, comme vous le savez, la France pour délivrer son message.

De notre côté, les archéologues de la Dafa, amoureux fous de votre pays et de sa culture, lui consacrant parfois leur vie et bâtissant avec vous, ici, le musée de Kaboul, à Paris le musée Guimet, double volet d’un même patrimoine, aujourd’hui vandalisé, et que nous allons restaurer ensemble. Des médecins, venus de toutes les régions de France, admirables French Doctors qui venaient, à travers les montagnes, secourir les populations martyres du Panchir. Et puis les écrivains enfin, qui, depuis Joseph Kessel, n’ont cessé de rendre hommage à ce pays de l’insolence, ce Yaghestan, ce peuple de paysans, de guerriers indomptables, mais aussi de lettrés, de poètes, de théologies, de mystiques. […]

Mes impressions du nouvel Afghanistan ? Un pays détruit mais libre.

J’ai parcouru Kaboul. J’ai visité Bamiyan. J’ai traversé la plaine de Chamali. Partout, je n’ai vu que ruines, cendres, désolation. Partout, j’ai vu les cicatrices de ces guerres interminables dont nous ne savons pas encore tout, dont on mesurera un jour l’ampleur et l’horreur – et dont vous sortez à peine.

Mais, en même temps, j’ai vu, je vois tous les jours, le bouleversant spectacle d’un peuple libre qui, avec un courage inouï, presque sans exemple, entreprend de refermer ses plaies. […]

Nous vous devons beaucoup, car vous avez représenté un exemple pour le monde, bien avant que le monde ne songe à vous apporter ses lumières.

L’image de votre lutte contre les impérialismes russe et britannique, le spectacle de votre courage face à tous ceux qui, au fil des siècles, tentèrent de vous asservir ont forcé le respect des mouvements de libération du XXe siècle. Et puis l’Europe elle-même, la partie de l’Europe qui, en tout cas, vécut cinquante ans sous la botte communiste, vous doit une part de sa liberté : n’est-ce pas les moudjahidine qui, les premiers, ont montré que l’Armée rouge n’était pas invincible ? n’est-ce pas ici, dans vos montagnes, que l’empire soviétique a entamé son crépuscule ? Pour cela, oui, le monde occidental est en dette. Et pour cela aussi, je crois que c’est justice de vous aider.

Comment ? […] Sachez que la France maintiendra vraisemblablement l’essentiel de son contingent au sein de la force multinationale et participera à la formation de la future armée afghane. Sachez encore – je ne résiste pas à la joie de vous l’annoncer – que j’ai appris, à Bamiyan, l’existence d’un troisième grand Bouddha, un Bouddha couché, enterré depuis des siècles, dont témoignèrent jadis des pèlerins chinois : les talibans, grâce au ciel, en ignoraient l’existence, et le musée Guimet envisage une mission archéologique française destinée à le retrouver. Sachez enfin – car il s’agit d’un engagement que je prends, cette fois, à titre personnel – que je compte aider l’ONG française Aina, éditrice du nouveau Kabul Weekly, à créer un journal en français, en dari et en pachtou, qui verra le jour en mai prochain et qui, dans notre esprit, s’appelle déjà Les Nouvelles de Kaboul.

Un écrivain français disait que la France n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes. Un de vos sages a dit, comme en écho, que l’Afghanistan n’est jamais aussi grand que lorsqu’il est fidèle à toutes les cultures qui le façonnent. Puissions-nous, ensemble, illustrer ce double précepte.


Autres contenus sur ces thèmes