Points sur les i. Au cas où vous auriez raté les précédents épisodes et n’auriez toujours pas bien saisi ce que Régis Debray veut dire quand il oppose, depuis vingt ans, « Républicains » et « Démocrates », ce petit livre est pour vous. Il s’intitule L’Obscénité démocratique (Flammarion) – titre qui a le mérite, déjà, d’annoncer franchement la couleur. On y apprend, entre autres plaisantes informations, que Guy Debord n’était qu’un plagiaire de Ludwig Feuerbach, lui-même « géniteur philosophique de Marx » (sic). On y lit que l’auteur est d’accord avec Sarkozy (et, il faut bien le dire, avec Mitterrand) quant au fait que « la République » est « dispensée » de « toute repentance » par rapport à « l’épisode de Vichy » (re-sic). Mais on y découvre surtout le rêve secret du compagnon d’armes du « Che », le vrai, le seul, je veux parler, naturellement, du néo-maurrassien Chevènement : mon rêve, nous confie-t-il, mon grand projet jusqu’ici inavoué, c’est un monde où l’on pourrait enfin « songer, rire et trembler à plusieurs, des millions de têtes, un seul corps ». Ce sont les derniers mots de l’ouvrage. Sa morale, en quelque sorte. La propre définition, finalement, de ce fameux « républicanisme ». Et je ne sais pas si vous êtes comme moi. Mais cette idée d’« un seul corps » pour des « millions de têtes », cette façon de vouloir à tout prix « rêver à plusieurs » et, par conséquent, chacun pour l’autre, cette manie de vouloir collectiviser à tout prix ce que nous avons de plus irréductiblement intime, me fait un peu froid dans le dos.
Richard Millet est écrivain. Mais il est aussi – et tient à ce que cela se sache – l’éditeur de Jonathan Littell, auteur des Bienveillantes et prix Goncourt de l’an dernier. Moyennant quoi il nous donne un petit livre – Désenchantement de la littérature, Gallimard – qui est une autre des réjouissances de la semaine et qui n’est, d’ailleurs, pas sans faire écho au précédent. Je passe sur la défense de Peter Handke injustement attaqué par d’horribles « chiens de garde » à cause de son émouvante présence aux funérailles de Milosevic. Je passe sur l’évocation de ce dernier, « homme politique communiste légalement élu », certes « coupable de crimes de guerre », mais pas tellement plus, somme toute, que « le musulman Izetbegovic ». Je passe même sur la défense de la France, ce cher et vieux pays « de race blanche » et « de culture chrétienne » que seraient en train de polluer les partisans et artisans du « métissage ». Et quant à l’attaque en piqué contre Salman Rushdie, cet « écrivain surestimé » et victime d’une « éructation de l’Histoire qui s’est muée pour lui en chance tragicomique », je laisse à chacun le soin d’en juger… Le plus intéressant dans ce livre c’est sa thèse. Ou, plutôt, son climat. C’est ce curieux dépressionnisme, cette rumination nihiliste et crépusculaire, dans laquelle il baigne et qui me semble, elle, pour le coup, un vrai signe d’époque. La littérature est morte, dit M. Millet, éditeur. L’écrivain est une espèce disparue ou en voie de disparition, dit M. Millet romancier. Et à ceux qui ne l’auraient pas compris, à ceux qui persisteraient dans le sot projet de garder « autorité sur la langue », il ne saurait trop recommander la leçon de Mishima qui sut, lui, au moins, aller au bout de sa déchéance et de celle de son art : Dieu nous garde de voir M. Millet, le prophète, se prendre à son propre mot.
J’ai évoqué ici – et je crains d’avoir à y revenir – l’étrange acharnement dont fait l’objet, en cette rentrée, Ségolène Royal. Mais la cible, cette semaine, c’est aussi Rachida Dati – et l’affaire, là non plus, ne manque pas de sel. Portraits bâclés… Livres en préparation… Promesses de révélations… Tout y passe. Tout. Le cas Dati par-ci. La face cachée de Dati par-là. Les rumeurs les plus folles. Les insinuations les plus odieuses. Jusqu’à la fouille méthodique – et dont je ne me rappelle pas d’autre exemple pour aucun autre premier rôle, jamais, du spectacle politique contemporain – dans une biographie atypique, probablement douloureuse mais qui, jusqu’à nouvel ordre, ne concerne que l’intéressée et les siens. Tantôt on lui reproche sa fragilité et, donc, une incompétence supposée ; tantôt son autorité et donc, à l’inverse, sa dureté. Tantôt, on en fait une Cosette beur, trop peu française pour être honnête et que seule la faveur du Prince ou, pis, de la Princesse a pu hisser aux hauteurs où elle se tient ; tantôt, elle devient un personnage balzacien, ou une Belle Amie à la Maupassant, animée par cette passion si française, au contraire, qu’est l’ambition recuite. Ici, c’est la gauche qui en fait une infidèle, traîtresse à des origines qu’il faudrait vivre comme une prison ; là c’est la vieille France qui trouve qu’il faut plus de souche, ou de branche, pour tenir les sceaux de la République et succéder à Jean Michel Guérin du Bosq de Beaumont ou à Albert, duc de Broglie. Peut-être serai-je conduit, le moment venu, à combattre tel ou tel aspect de la politique de madame Dati. Mais, pour l’instant, je suis désolé : quand on fait à quelqu’un tant de reproches, et si contradictoires, quand, comme disait Cocteau, on le dévisage au lieu de l’envisager, c’est qu’on en a moins à ce qu’il fait qu’à ce qu’il est. Et cela, quels que soient les désaccords politiques, n’est juste pas supportable.
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