Mes amis socialistes sont extraordinaires !

Ils font, depuis dix ans, du blairisme un repoussoir.

Ils en font l’image de ce que la gauche, leur gauche, ne doit pas être.

Ils y voient l’incarnation diabolique de la trahison des idéaux qu’ils prétendent incarner.

Ils désavouent Tony Blair sur sa politique intérieure qu’ils voient comme un « thatchérisme à visage humain ». Ils l’insultent sur une politique étrangère qu’ils ne veulent croire dictée que par la servilité à l’endroit de Bush et qui lui interdirait, par exemple, de présider l’Union européenne après la ratification du traité de Lisbonne.

Quand, en 1997, se tient à Malmö, en Suède, le congrès du Parti des socialistes européens, c’est à qui, dans la délégation française, trouvera le meilleur substitut à sa « troisième voie » honnie.

Quand, en juin 1999, dans la perspective des élections européennes, le social-démocrate allemand Schröder signe avec lui son « Manifeste » pour la « troisième voie » et le « nouveau centre », c’est à qui hurlera le plus fort au scandale et au reniement.

Quand Ségolène Royal, pendant sa campagne, tente, dans une interview au Financial Times, de dire que tout n’est peut-être pas à jeter dans sa politique en matière de services publics, d’emploi des jeunes ou même de sécurité, c’est une volée de bois vert qui manque la faire trébucher et qui, d’ailleurs, la fait reculer.

Et déjà, en 1995, quand Jacques Delors hésite, puis renonce, à se présenter à la succession de François Mitterrand c’est parce qu’il est « blairiste » et qu’il sait que le « blairisme » est un gros mot, presque une injure, au sein du parti qui serait censé le soutenir et que domine alors une vulgate néoguesdiste dont Henri Emmanuelli incarne assez bien l’archaïsme.

Bref, le blairisme c’est l’ennemi.

C’est l’antimodèle pour la plupart des leaders du socialisme à la française.

C’est cette gauche « de droite » que l’on pourfend avec la dernière énergie, lui préférant une gauche tournant le dos, non seulement à la modernité, mais à la réalité.

Et voilà que, pour des raisons qui lui appartiennent, mais sans se renier ni omettre de rappeler que, s’il était français, il serait – je le cite – « au Parti socialiste », aux côtés de « ceux qui ont à cœur de le transformer », Tony Blair répond à l’invitation de Sarkozy et vient s’adresser aux cadres de l’UMP qui lui font une ovation – et c’est, de nouveau, des cris d’orfraie, des excommunications majeures et le grand air de la trahison.

Alors, de deux choses l’une, amis.

Ou bien Tony Blair est ce salaud, ce vendu, porteur de la maladie honteuse que vous dénoncez depuis dix ans – et, dans ce cas, de quoi vous plaignez-vous ?

Ou bien il est des vôtres, il appartient de plein droit à la famille – et que ne l’avez-vous dit plus tôt ? pourquoi cette gêne ? ces contorsions ? pourquoi cette débauche d’imagination langagière (« socialisme moderne » jospinien… « réformisme de gauche » hollandais…) dont on a le sentiment que la seule fonction est d’éviter d’avoir à prononcer les mots de « social-libéralisme » , ou de « libéralisme » tout court, qui sont au cœur du blairisme ? et comment, dans ce cas, osez-vous vous plaindre qu’un président de la République dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas mauvais joueur d’échecs s’engouffre dans la brèche que vous avez vous-mêmes ouverte et s’approprie un héritage qui est le vôtre sans l’être et dont vous voulez bien mais à condition de ne pas avoir à le dire ?

Le problème est là – posé, avec une acuité renouvelée, par la manœuvre sarkozyste.

Il faut que la gauche, notre gauche, sorte, une bonne fois, de l’ambiguïté.

Il faut qu’elle renonce aux vieilles lunes de ce jacobinisme, tendance robespierriste, qui compose toujours, pour une part, son identité idéologique affichée (récemment encore, François Hollande, dans un débat mémorable avec l’actuel ministre de l’Intérieur : « oui, c’est vrai, j’aime pas les riches » …).

Il faut – car là est la clé – qu’elle rompe enfin le charme que continue de faire peser sur elle une extrême gauche trotskiste, bourdivine, joséboviste, en voie de résurrection et opérant comme un surmoi.

Il faut, en d’autres termes, qu’elle fasse enfin clairement, à visage et à mots découverts, cette conversion à l’économie de marché, au libéralisme, à l’Europe, à la mondialisation, aux droits de l’homme, qu’elle n’a faite, pour l’instant, qu’en catimini, presque en fraude, se condamnant ainsi à l’hypocrisie et à la schizophrénie.

La conversion ou la mort.

La clarté ou, de défaite en défaite, la chronique d’une disparition programmée.

Sous ce nom ou sous un autre, le blairisme est, plus que jamais, la seule issue possible pour une gauche qui aura tiré toutes les leçons, toutes, de l’égarement totalitaire.


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