S’il y a bien un événement qui m’a fait regretter d’avoir interrompu ce bloc-notes pendant l’été, c’est la libération « pour raisons médicales », puis l’accueil triomphal à Tripoli, de l’organisateur de l’attentat de Lockerbie, Abdelbaset al-Megrahi.
Non que je trouve anormal le principe d’humanité qui permet à un vieux prisonnier, atteint d’un cancer en phase terminale, de voir sa peine abrégée et de rentrer mourir dans son pays.
Mais ce qui n’est pas normal, c’est que cette mise en liberté ait été, comme l’a aussitôt claironné, dans une interview au quotidien écossais The Herald, le propre fils de Kadhafi, négociée en échange de contrats d’exploration pétrolière pour la Shell et la British Petroleum.
Ce qui est choquant, c’est que l’ancien espion, responsable de la mort, en 1988, des 259 passagers du vol de la Panam ainsi que de 11 habitants du village où l’appareil s’est écrasé, ait pu être rapatrié dans un des avions personnels de Kadhafi qui, comme si cela ne suffisait pas, comme s’il voulait être bien certain d’aller au bout de la provocation, du cynisme, de l’outrage, lui a réservé, le lendemain, une audience de grand personnage.
Et ce qui est, non seulement choquant, mais odieux, c’est l’accueil triomphal qui lui fut offert, sur le tarmac de l’aéroport international, par une foule en délire, agitant des drapeaux libyens et écossais, chantant des chants patriotiques, le traitant en héros – et ce, dans un pays où nul n’ignore que les explosions de liesse et de ferveur sont rarement spontanées…
L’homme, aux yeux de ses partisans, serait victime d’une erreur judiciaire que l’on aurait, ainsi, réparée ?
Oui et non.
Car il y a un petit lobby, c’est vrai, qui déploie beaucoup d’énergie pour disculper le régime libyen de la responsabilité de cet attentat. Mais outre que ses « contre-enquêtes » sont toujours d’une faiblesse navrante (tel témoin se rétractant, des années après le procès, et à la veille, comme par hasard, de l’accord anglo-libyen de transfert de prisonniers dont chacun sait que le seul et unique bénéficiaire sera Al-Megrahi), outre que cet activisme révisionniste sent sa théorie du complot à plein nez (l’abominable CIA qui aurait, pour d’obscures raisons, « récrit le scénario » d’un crime dont elle cacherait les vrais auteurs), outre que l’on retrouve dans ce lobby l’éternel quarteron de spécialistes en désinformation et de maîtres en conspiration (pour la France, l’inévitable Pierre Péan qui, entre deux croisades négationnistes du génocide au Rwanda, se fend d’un jugement péremptoire et puéril sur la « thèse » de la culpabilité libyenne qui, selon lui, ne « tient pas la route »), la vérité est que les Libyens eux-mêmes n’ont pas toujours nié cette culpabilité ; mieux : ils l’ont si peu niée qu’ils se sont, en 2003, engagés à verser 10 millions de dollars de compensation à chacune des 270 familles de victimes ; en sorte que le pays où l’on a rapatrié Al-Megrahi est un pays où l’on hisse un homme sur le pavois, non parce qu’on le croit innocent, mais parce qu’on le sait coupable d’avoir assassiné 270 personnes dont le seul crime était d’être ressortissants de pays démocratiques.
Gordon Brown et ses ministres peuvent bien, après cela, clamer leur « consternation ».
Ils se sont déshonorés.
Leurs homologues écossais, qui avaient reçu « l’assurance » d’une gestion « discrète et sensible » de ce retour de l’agent prodigue et qui n’en reviennent pas, disent-ils, d’avoir été si méchamment roulés dans la farine, se sont, en prime, ridiculisés.
Lorsque Kadhafi vient remercier à la télévision, non seulement son « ami » Gordon Brown, mais « la reine d’Angleterre » et « son fils le prince Andrew », c’est comme s’il insultait tout un peuple, comme s’il faisait injure au meilleur de ses traditions, comme s’il crachait sur la mémoire de Churchill et des héros de la bataille d’Angleterre – et comme si la chose se faisait avec l’assentiment d’une classe politique prête à tout, et d’abord à vendre son âme et celle de son pays, en échange de quelques barils de brut.
Et quant aux autres, tous les autres, quant à la Suisse qui ne sait plus comment s’excuser d’avoir bousculé, cet été, l’autre fiston du Guide, Hannibal, quant à l’Italie dont le président du Conseil vient de poser la première pierre d’une autoroute censée sceller, quelques heures avant le coup d’envoi des festivités du quarantième anniversaire de la dictature, la sonnante et trébuchante amitié italo-libyenne, quant à la France qui fut à l’avant-garde, il y a presque deux ans, de ce mouvement de réhabilitation de Kadhafi sur fond de marchandage économique et commercial, on attend qu’ils tirent les conclusions de l’épisode.
Qui avait raison : ceux qui, comme Nicolas Sarkozy, pensaient que le Guide avait changé et qu’il fallait lui tendre la main pour l’aider à réintégrer le concert des nations – ou ceux qui, comme Rama Yade, regrettaient que notre pays devienne un « paillasson » sur lequel n’importe quel tyran « peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits » ?
Aujourd’hui, nous avons la réponse. Kadhafi a peut-être renoncé à commanditer les attentats. Mais il n’a pas abjuré cette haine de l’Occident et, à travers lui, de la démocratie qui est la vraie racine du terrorisme. Le reste n’est que bavardage – et alibi de notre lâcheté.
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