Intermittents du spectacle ou fantômes du permanent ? D’où vient qu’il n’y ait plus une manifestation culturelle, un hommage, une grand-messe sans ces provocations calibrées, mises en scène, minutées ? D’où vient que le clou de tels césars ou de telles autres festivités, le sommet du spectacle, le grand moment que le public attend et qui fait la réussite de la soirée, soit toujours, désormais, l’une de ces imprécations préparées et soigneusement calculées ? Relire Daney.

« L’aventurier est celui qui fait arriver les aventures plus que celui à qui les aventures arrivent » : cette formule des lettristes, plusieurs fois reprise par Debord qui en fit le cœur du programme situationniste, je lis dans Pour Mémoires, de Boris Donné (éditions Allia), qu’elle est reprise de La nausée, de Sartre. Eh oui. Sartre et Debord. Sartre à l’origine de ce segment de la pensée Debord. Et ce, même si Debord s’ingénie, ensuite, à effacer la trace du détournement. Piller Sartre et l’insulter…

Comment écrivez-vous ? Comme Picasso : je trouve d’abord, je cherche après. Ou comme le peuple juif selon la Bible : nous ferons, et nous écouterons.

Quoi de commun entre archéologues privés de fouilles et professeurs mal-aimés ? psychanalystes évalués et chercheurs sans crédits ? la situation des urgentistes et les progrès de l’ordre moral ? le sort de Battisti et celui des intermittents ? quoi de commun entre ces « catégories » d’un « parti de l’intelligence » auquel le gouvernement Raffarin aurait déclaré la guerre et dont Les Inrockuptibles s’instituent les porte-parole ? Pour ma génération, ce type d’amalgame porte un nom. Pour ceux qui, comme moi, ont vécu les ravages de la religion progressiste, cette volonté d’« unifier les luttes », cette façon de postuler une harmonie providentielle entre « les combats », cette idée selon laquelle il y aurait « un certain point » à partir duquel toutes les plaies ouvertes de la société révéleraient leur ténébreuse mais profonde unité, tout cela, donc, sent l’esprit de parti dans ce qu’il a de plus religieux. Ombre du bourdivisme. Spectre des grands rassemblements incantatoires qui, une fois déjà, tuèrent la « gauche divine » (Baudrillard).

Le Massoud de Morillon. Le mot de Brecht, terrible, dans La vie de Galilée, tableau 13 : « malheur aux peuples qui ont besoin de héros ».

Trop de confusion autour de cette affaire Dieudonné. Comment expliquer aux uns que lorsqu’un type nous explique que les juifs sont des anciens négriers reconvertis dans la banque il est sans le moindre doute antisémite ? Aux autres que faire de cet antisémite une victime, le transformer en combattant de la liberté d’expression bafouée, lui donner, en l’interdisant d’Olympia, la palme du martyre, céder, en d’autres termes, à sa pathétique injonction, toujours la même (« voici ma provocation ; ou` est votre persécution ? »), était un piège terrible où trop de bons esprits sont tombés ? Double tenaille.

Jadis, la philosophie : l’art de s’étonner. Aujourd’hui, depuis Bataille : l’art d’avoir peur, l’exercice de la terreur.

J’ignorais que ce fût lui, Arthur Cravan, le « colosse mou », qui, après avoir tant inspiré Breton, servit de modèle au Lafcadio de Gide.

Si j’étais pour cette loi sur le foulard, c’est, aussi, parce que j’en ai assez des pièges du théologico-politique. Qu’il y ait un lieu au moins où l’on disjoigne les deux ! Qu’il y ait un lieu – la France, peut-être l’Europe – où l’on cesse de faire comme s’il y avait un axe du Bien, une justice infinie, un « in God We Trust » aux commandes de la politique ! Qu’il y ait un lieu où l’on ait la force de casser la molécule, de provoquer la grande fission du siècle – nouvelle séparation, non de l’Église et de l’Etat, mais du théologique et du politique.

Un intellectuel digne de ce nom est toujours extrêmement en avance ou extrêmement en retard. Pasolini. Lettres luthériennes.

Et, en même temps, la justice ne s’arrête pas non plus au droit ; peut-être même ne commence-t-elle que lorsqu’il a, le droit, tout dit de son dernier mot.

Au cœur de l’affaire Dieudonné, l’éternel poison de la concurrence des victimes – l’éternelle bêtise de ceux qui vont partout répétant : « à trop vous occuper des juifs, vous ne vous occupez plus assez des autres ; il est, votre martyre juif, comme une ombre portée sur, par exemple, le malheur de l’Afrique ». Je n’ai attendu personne, grâce au ciel, pour m’occuper des deux. Ne pas céder sur la Shoah ne m’a jamais empêché, bien au contraire, d’avoir le Burundi, le Rwanda, l’Angola, le Sud Soudan, au cœur – ni, aujourd’hui, de me réjouir de voir le peuple haïtien débarrassé de son tyran.


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