Inde et Iran, deux poids et deux mesures face à la question du nucléaire ? Eh oui. Bien entendu. Il y a deux poids et deux mesures, toujours, entre la démocratie et le fascisme. Il y a deux poids et deux mesures, forcément, entre la façon de traiter avec un régime normal et la nécessité d’isoler et, en tout cas, éviter de surarmer, un Etat terroriste présidé par un terroriste. Je suis comme tout un chacun. J’aimerais mieux une planète idéale, sans armes nucléaires du tout. Mais la planète étant ce qu’elle est, rien ne me semble plus redoutable que ce jeu de fausse symétrie qui voudrait nous convaincre, au nom de l’« équité », que ce qui est donné à la démocratie indienne devrait l’être à l’Iran des mollahs. Ne pas céder sur ce point. Ne pas se laisser intimider par les compagnons de route du fascislamisme qui, comme le directeur du Monde Diplomatique, regrettent, ce mois-ci, que l’on « diabolise » les héritiers de Khomeiny. L’enjeu : la paix mondiale, peut-être ; Israël, sans doute ; mais aussi les Iraniens eux-mêmes qui sont en première ligne de la lutte contre le nouveau fascisme et ne comprendraient pas que, en cédant, nous les lâchions.
Trois jeunes agressés, ce samedi, à Sarcelles. Trois Français qui, parce que juifs, sont molestés, frappés, humiliés. Va-t-on, comme après le meurtre de Ilan Halimi, se demander si ces actes sont un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout, antisémites ? Va-t-on recommencer de lire, dans quelques-uns de nos journaux, le surréaliste « Monsieur X nie être antisémite » ou « Monsieur Y réfute la circonstance aggravante de l’antisémitisme » ? Face à l’image sans appel d’un juif qui, en plein XXIe siècle en France, peut encore se faire violenter parce qu’il porte une kippa, trois urgences. Le soutien de la République (Sarkozy l’a tout de suite fait). L’examen de conscience de quelques-uns (à quand le mea culpa des incendiaires des esprits qui, de théâtres en Zénith, de mosquées en sites Internet, n’ont cessé, ces derniers temps, de livrer des noms de juifs en pâture à la haine publique ?). Et, pour tous enfin, un acte de nomination et, donc, de vérité qui fera appeler un chat un chat (faute de quoi l’expérience prouve que l’on ne fait que désarmer les âmes)…
Retrouvé mes notes de l’époque sur la « solidarité des ébranlés » chère à Jan Patocka, le grand philosophe tchèque, fondateur de la Charte 77. Je sais que je détourne le sens de la formule. Mais comment ne pas rêver de cette belle « solidarité » en ces temps nauséeux où l’on ne veut nous parler, semble-t-il, que de guerre des mémoires et des souffrances ? Comment ne pas se ressouvenir de Patocka quand tels altermondialistes nous somment de choisir entre la cause des uns et le parti des autres, entre la lutte contre le racisme et le combat contre l’antisémitisme ? Solidarité des ébranlés, d’un côté. Rivalité ou compétition des victimes, de l’autre. Telle est la ligne de partage. Telle est, telle sera de plus en plus, la différence entre les hémiplégiques qui pensent qu’on ne peut défendre les Palestiniens qu’en haïssant Israël, ou qu’on ne peut rappeler l’infamie de la traite des Noirs qu’en oubliant l’horreur de la Shoah – et ceux qui, comme moi, croient en l’invisible fraternité des offensés et embrassent dans le même chagrin ces morts que l’on voudrait voir jetés les uns contre les autres.
Dire, à propos de solidarité toujours, mon soutien sans réserve aux Harkis traités de « sous-hommes » par Georges Frêche. Et redire surtout, comme je l’ai fait, ce dimanche, sur Europe 1, la stupeur où me plongent, là aussi, les atermoiements des socialistes. La question, amis, n’est pas de savoir dans quel contexte le maire de Montpellier a dit cela. La question n’est pas de savoir s’il a insulté tous les harkis, certains harkis ou un harki. Le seul fait d’avoir prononcé le mot est, en soi, inexcusable. Le mot même de sous-homme, appliqué à qui que ce soit, est le mot de trop dont nous n’aurions, vous le savez, pas pardonné l’emploi à un Le Pen. Le problème, à partir de là, n’est pas un problème de sanctions ou de suspension. Il est d’énoncer clairement, et vite, que l’auteur d’un dérapage pareil n’a pas sa place du tout dans le parti de Blum et de Jaurès. Tant que vous ne l’aurez pas fait, tant que vous ruserez, pour d’obscures raisons de cuisine, avec cette question de principe, Georges Frêche sera comme un gros bœuf sur la langue de chacun d’entre vous – il y aura une affaire Frêche qui, tel un bruit de fond, rendra inaudible tout ce que vous aurez d’autre à dire.
Mort de Philippe Muray. Il fut de la première Règle du Jeu. Je fus l’éditeur de son premier roman Postérité. Et il y a surtout ces deux grands livres qui justifient une vie et, par-delà cette vie, un peu de l’histoire d’une génération : son Céline d’abord qui, en montrant le passage de l’auteur du Voyage à celui de Bagatelles, levait un coin du voile sur toute la part secrète de ce qu’il est convenu d’appeler le progressisme ; et puis l’admirable XIXe siècle à travers les âges qui restera comme le meilleur livre écrit sur les noces de l’occultisme et du socialisme et donc, aussi, sur François Mitterrand. Ce Muray-là, cet apôtre d’un gai-savoir bien plus complexe, bien plus généreux et plus puissant, que ne le veulent les nécrologues attachés, ce matin, à ne dépeindre que le mécontemporain vaguement atrabilaire – ce Muray-là sera, j’en prends le pari, encore plus encombrant mort que vivant.
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