Le grand rabbin Sitruk, chez Ardisson, revenant sur les mots de Benoît XVI à Auschwitz. C’est vrai que l’évocation du « peuple », sous-entendu allemand, sur lequel « un groupe de criminels » aurait « pris le pouvoir par des fausses promesses de grandeur future » n’était pas très heureuse. Mais le reste ? Tout le reste ? Comment ne pas voir qu’il n’y avait, du point de vue même de la vision juive des choses, rien à ajouter ni retrancher au reste de ce que le Souverain Pontife a dit ? Il a, ce que n’avait pas fait Jean-Paul II, prononcé le mot « Shoah ». Il a, plus clairement encore que son prédécesseur, parlé de crimes – je cite – « sans équivalence dans l’histoire » de l’humanité. Loin, comme cela lui a été reproché, d’« oublier » de préciser que les victimes des crimes en question étaient juives, il a expressément dit, au contraire, que ce peuple-victime était le « peuple de Dieu », c’est-à-dire le « peuple juif ». De ce peuple, juif donc, il a ajouté encore – et ce n’est, convenons-en, pas une mauvaise définition de la solution finale et de son horreur – que tout le projet du Reich fut de l’« écraser dans sa totalité » pour l’« éliminer » (c’est lui qui parle) « du rang des nations de la terre ». Et, quant à la phrase, enfin, sur les racines métaphysiques de cette démence, quant à son mot sur ce peuple qui, par le simple fait de son existence, était un « témoignage de Dieu » et quant à l’idée, par conséquent, qu’« en détruisant Israël » les nazis « ont voulu arracher les racines de la foi chrétienne et les remplacer par la foi qu’ils avaient eux-mêmes créée », on dira ce que l’on voudra mais c’est, dit en langue chrétienne, l’exact équivalent de ce que disait, en langue juive, quelqu’un comme Emmanuel Levinas. Va-t-on reprocher à Benoît XVI d’être chrétien ? Va-t-on regretter qu’il exprime dans ses mots, qui sont ceux de Vatican II, l’énigme insensée de la destruction des juifs ? C’est un peu le sentiment que donnait, ce soir-là, le grand rabbin. Et, malgré tout le respect que je lui dois, malgré l’extrême noblesse dont, par ailleurs, son propos était empreint, il me semble que, ce faisant, il passait à côté d’une vraie grande occasion de dialogue judéo-catholique.
Sur la question des aides européennes à la Palestine gouvernée par le Hamas, le principe est aussi simple que son application est compliquée. Oui, bien sûr, à tout ce qui permet d’aider en direct les hommes, femmes et enfants palestiniens. Oui aux aides alimentaires et médicales, aux aides en services sociaux et de santé, oui, à la limite même, au paiement direct, via des institutions internationales, de ces salaires de fonctionnaires civils dont dépend la survie de familles en grand nombre. Mais non, cent fois non, à toute démarche qui, sous couvert d’humanitaire, conforterait dans sa souveraineté un parti dont on ne rappellera jamais assez que, non content d’exiger la destruction pure et simple d’Israël, non content de n’envisager le retour aux frontières de 1967 que comme une étape tactique dans un processus d’anéantissement global, non content de reprendre enfin tous les pires poncifs nazis sur la conspiration juive et judéo-maçonnique internationale, n’a d’autre programme de gouvernement que l’établissement de la charia, c’est-à-dire de la dictature, sur la société palestinienne elle-même. C’est cette société palestinienne qui l’a élu ? Démocratiquement ? Librement ? Certes. Mais ce n’est ni la première ni, hélas, la dernière fois (cf., justement, l’Allemagne hitlérienne) qu’un parti ouvertement fasciste vient au pouvoir par des élections. Et le fait que ce fascisme soit un fascisme arabe, le fait qu’il se réclame d’une souffrance, la souffrance palestinienne, qui est une souffrance réelle et un scandale, le fait, enfin, que ses premières victimes ne soient pas européennes, ne doit lui donner, aux yeux des démocrates que nous sommes, aucune espèce de statut privilégié ni d’excuse. Ce distinguo entre la population et le parti, cette différenciation entre les enfants qu’il faut soigner et la dictature fasciste qu’il faut affaiblir, c’est ce qu’a fait le Quartet, ce week-end, en présentant son plan d’urgence. Mais tiendra-t-il ? Résistera-t-il aux tentatives d’intimidation qui ne manqueront pas de venir de la frange néoprogressiste de l’opinion ? C’est la question.
Pendant ce temps-là, en France, Le Pen monte. Il ne dit rien ; on le voit à peine ; c’est tout juste s’il signale encore, de loin en loin, son existence ; mais il monte, monte – pas un sondage qui ne nous rappelle que le 21 avril, voire un 21 avril à l’envers, n’est pas seulement un mauvais souvenir mais une perspective toujours possible. Normal… C’est le prix d’un climat délétère, d’un abaissement rarement atteint du niveau et de la qualité du débat public – c’est le prix, aussi, d’une surenchère sécuritaire qui, lorsqu’elle mêle, comme aujourd’hui, fantasmes et réalité, lorsqu’elle attise les peurs et flatte les pires instincts, lorsque la gauche s’y met à son tour et semble n’avoir plus d’autre but que de disputer à la droite le titre désormais envié de champion en militarisation des banlieues et des familles de délinquants, c’est le prix, donc, d’une surenchère qui est la définition même de ce que Robert Badinter appela naguère la lepénisation des esprits. J’y reviendrai.
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