Il y a eu le démarrage en fanfare de Ségolène Royal salué, comme il se devait, par la plupart de ceux qui, comme moi, auraient préféré un Strauss-Kahn.
Il y a eu l’entrée en lice de Nicolas Sarkozy avec son désormais fameux discours d’investiture dont chacun a reconnu, à gauche autant qu’à droite, le souffle, l’ambition.
Mais après ?
Contre l’une, les procès d’intention aussi bêtes que méchants : tant d’énergie consacrée à commenter l’affaire de la « bravitude » – quelle misère !
Contre l’autre, des attaques ad hominem d’une violence inouïe : cet incroyable « rapport Besson », par exemple ! ce fait sans précédent qu’est la confection d’un rapport tout entier destiné à démolir, non le programme, mais la personne de l’adversaire !
La première, oui, que l’on vient tourmenter sur des questions de patrimoine qui se révèlent, après que les harpies de la transparence ont enquêté, parfaitement insignifiantes (ah ! les mystères de La Sapinière… oh ! l’inépuisable ressource de ce thème de l’argent caché…).
Le second, que l’on qualifie de « caniche de Bush », quand ce n’est pas de « néoconservateur américain à passeport français », autant dire de « candidat de l’étranger » (on croyait cette rhétorique réservée au Front national – mais non, ce sont des hommes de gauche qui parlent ainsi…).
Le Front national, précisément.
Notre bon Front national qui, à la faveur de ce climat, ne se gêne plus pour pousser son avantage.
Le Pen, partout invité, constamment et respectueusement interrogé, qui n’a plus besoin de faire campagne tant la campagne des autres fait, en profondeur, le travail pour lui.
Comme il est loin, le temps où il allait de soi que le vieux chef fasciste n’était pas un homme politique comme un autre !
Comme il semble hors de saison, ce souci d’une « lepénisation des esprits » qui passait, ô combien justement, pour être l’affaire de chacun : plus personne, aujourd’hui, pour écouter même ce que dit le FN puisque, par un tour de passe-passe dont l’irresponsabilité sidère, c’est Sarko qui tient officiellement le rôle du facho !
La guerre, à la façon de l’extrême droite, des officines et des coups tordus.
La manufacture, partout, des petites phrases, des mots qui tuent, des calomnies et de leur drogue dure.
Les rumeurs qui font l’événement.
Le poids nouveau d’Internet, de ses vidéos pirates, de ses corbeaux Web mais, hélas, nullement virtuels.
Ces sites dont le nom laisse rêveur : « jaimepaslesriches » ou « petitesphrases.com ».
Le populisme version pipolisme.
Ce côté « Star Ac » que prend, sur fond de sondage permanent, l’élection républicaine par excellence.
Quand a-t-on vu, en France, un couple épié, fût-ce par retour de boomerang, comme le furent les Sarkozy ?
Où a-t-on vu les adversaires d’une candidate choisir comme angle d’attaque privilégié le couple atypique qu’elle forme avec son compagnon, François Hollande ?
Et le porte-parole de la candidate… Quand le porte- parole entre lui-même dans le jeu et, comme Arnaud Montebourde, en rajoute dans le sexisme et le machisme qui sont, depuis le début, le poison dont on la menace, n’est-ce pas le signe que c’est le système, tout le système, qui devient fou ?
Si, du reste. On a vu cela. Mais aux États-Unis qui, par parenthèse, sont en train d’en revenir. Alors que nous…
Traiterons-nous, toutes proportions gardées, le couple Hollande-Royal comme on a traité, là-bas, le couple Clinton ?
Et faut-il voir un clin d’œil de l’Histoire dans le fait que Hillary se lance dans la bataille au moment même où la campagne de son émule s’attarde dans des voies qu’elle a explorées et, sans doute, dépassées ?
Ce qui est sûr, c’est que nous tenons là notre première élection « américaine » au sens ancien, trivial, du mot.
Ce qui est incontestable, c’est que, pour la première fois dans une élection française, les idées comptent soudain moins que la gueule, ou l’aura, que l’on se fait.
Prenez un thème comme celui de la fiscalité.
Voyez comme, tout à leur obsession des failles dans le programme commun Hollande-Royal, les commentateurs passent à côté du seul fait qui pèse vraiment : c’est la première fois que, à droite comme à gauche, tout le monde s’accorde à considérer l’impôt comme une sorte de punition que l’action politique aurait pour seule fonction d’alléger – c’est la première fois que son rôle éventuellement citoyen, redistributeur, etc., est si allégrement, et unanimement, passé sous silence.
Tout à l’ego.
Champions de soi-même.
Des candidats occupés à nous donner une certaine idée, non de la France, mais de leur image.
Je sais bien qu’une campagne présidentielle est toujours, un peu, un corps-à-corps.
Mais tout de même !
Pas au point où c’est l’idée même du bien commun, de la délibération démocratique, qui cède à la loi du show ! Pour ceux qui croient à la politique et qui l’aiment, il y a là une situation qui ne peut pas durer sans devenir, très vite, désespérante, révoltante.
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