Retour du Darfour. Images d’horreur. Urgence. Au Rwanda nous avions, si j’ose dire, l’« excuse » de la soudaineté et l’on pouvait dire : c’est allé si vite, on a si peu vu arriver la chose, que les opinions n’ont pas eu le temps de se mobiliser. Mais là… Quatre ans… Quatre ! Les villages brûlés que je traverse, certains des survivants dont je recueille le témoignage, me parlent d’événements qui datent de l’été 2003 ! Et rien. Ce silence. Cette indifférence. Cette apathie, non seulement des Etats, mais des gens. Et ce, alors qu’existent les moyens d’agir, les solutions pour arrêter le massacre, les moyens de pression. J’y reviendrai.
Jacques Chirac, fin de partie. Émotion, malgré tout. Car peut-être pas, au bout du compte, un bilan si désastreux que ne le disent ses biographes. Je repense à l’Irak, naturellement. Mais aussi au Kosovo. Et, plus encore, à la Bosnie où il a, avec Bill Clinton, mis fin à la politique de collaboration avec le pire qui avait été, qu’on le veuille ou non, celle de Mitterrand et Balladur. De cela, de la décision, le 29 août 1995, de bombarder les positions serbes autour de Sarajevo – comme, encore, de ses mots si décisifs sur la responsabilité de l’Etat français dans Vichy et dans la tentative de destruction des Juifs de France – je lui saurai, personnellement, toujours gré.
Dans le livre de Renaud Revel sur Claude Chirac et sur le couple politique si étrange qu’elle forme, depuis dix ans et plus, avec son président de père (L’Egérie, Lattès), cet axiome que, si l’on en croit l’auteur, il partageait, lui, en revanche, avec Mitterrand : « à grands événements, grand président ; seuls les grands événements sont en mesure de glorifier la fonction présidentielle. » Eh bien en voici un, Monsieur le Président, de grand événement. Je parle encore, hélas, des crimes contre l’humanité commis au Darfour. Je parle de ce qui deviendra, si nous ne faisons rien, le premier génocide du XXIe siècle. Et j’imagine la grandeur qu’il y aurait à achever votre mandat avec un geste fort à destination de ces morts sans nombre, sans nom, sans visage et souvent sans sépulture qui seront, un jour, notre remords.
Jamais ne me sont apparues si clairement que là, au Darfour, les limites de ce qu’il est convenu d’appeler l’action humanitaire. Oh, ces hommes et ces femmes, ces médecins, ces logisticiens, ces gens qui tentent, dans des conditions de difficulté et, parfois, de péril extrêmes, de soulager la souffrance des victimes sont, naturellement, des gens admirables. Ils sont l’âme d’un monde sans âme. L’esprit d’un monde sans esprit. Ils sont le soupir de la créature tourmentée. Un sourire dans une vallée de larmes. Mais le problème c’est la mise en suspens du politique qui en est, en même temps, le corrélat. Le problème, c’est cette façon qu’ont les politiques de nous dire : « les humanitaires sont là, ils font le boulot, tout va bien. » Relire, dans le roman inachevé de Balzac, Les petits bourgeois, le portrait de Théodose de La Peyrade. Malheureusement, tout y est.
Est-ce l’éloignement qui, lorsque l’on revient, déforme les perceptions ? Ou cette campagne qui, réellement, tourne au ballet d’ombres et d’armées fantômes où l’on ne sait plus, ni qui est qui, ni qui vote pour qui et pour quoi ? C’est Roger Hanin qui, aux dernières nouvelles, voterait communiste au premier tour et UMP au second. Qu’il me pardonne. Mais je le préfère, franchement, en acteur. Ou même en romancier. Ce Loin de Kharkov truculent, déjanté, drolatique, rabelaisien, que je lis dans l’avion du retour et dont les personnages me rappellent ceux des premiers livres de lui que je l’avais, il y a vingt ans, si vivement encouragé à écrire.
Ils faisaient, je m’en souviens, hurler de rire François Mitterrand. Intacte est leur force baroque, rocambolesque, ironique.
Était-il si nécessaire, vraiment, que Le Pen et Besancenot soient présents dans l’élection ? Et l’inconvénient de leur absence méritait-il d’aller, comme vient de le faire le ministre de l’Intérieur, jusqu’à forcer la main de ces maires de petites communes, républicains viscéraux, gens de bien, qui savent juste que ces deux-là ne sont, précisément, ni des républicains ni des démocrates ? Je vais sans doute choquer. Mais je pense, moi, qu’une présidentielle où l’on a déjà Laguiller et José Bové pouvait se passer de Besancenot. Et quant à Le Pen… Oh, quant à Le Pen, je renverrai juste à un autre livre : Elu !, le savoureux récit de politique-fiction que Guy Konopnicki publie, ces jours-ci, chez Hugoroman et où l’on voit, dans le détail, comment le programme du Front national est, à la lettre, d’inspiration fasciste.
Arrestation, pendant ce temps, dans un hôtel de Quetta, au Pakistan, du mollah Obaidullah Akhund qui fut le ministre de la Défense des talibans. L’événement se produit à quelques heures d’une visite-éclair du vice-président Dick Cheney à Islamabad. Et alors que les États-Unis s’inquiètent, à mots de moins en moins couverts, du double jeu de Moucharraf. Nouvelle illustration de la théorie que j’ai, plusieurs fois, exposée ici. A savoir : primo que le Pakistan est le vrai épicentre du terrorisme ; et, secundo, que ses dirigeants ont sous le coude, parfaitement localisés, tout un stock de hauts gradés d’Al-Qaeda qu’ils nous livrent un à un, tranquillement, au gré des besoins, c’est-à-dire des péripéties de leur relation tumultueuse avec l’allié américain. Jusqu’à quand, la comédie ?
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