Il s’appelle Bernard Accoyer. Il est député. C’est probablement un brave homme, soucieux du bienêtre de l’humanité en général et de ses contemporains en particulier. Le problème, c’est qu’il est mal informé et qu’en faisant voter par l’Assemblée nationale, le 8 octobre dernier, un projet d’amendement qui aurait pour résultat d’encadrer la pratique de la psychanalyse et d’exiger de ses praticiens une formation de médecin ou de psychologue il vient de commettre, mine de rien, une série de bien mauvaises actions.

En n’envisageant d’autre voie pour un psychanalyste que le passage par la médecine, il exclut, qu’il le veuille ou non, tous les praticiens qui sont venus à leur métier par d’autres disciplines : philosophes d’origine, linguistes, littéraires, ce sont les « laïques » du freudisme ; c’est même l’une des plus fécondes révolutions apportées par l’auteur de L’interprétation des rêves, puis par celui des Écrits, que de les avoir embarqués, au même titre, dans l’aventure de leur clinique ; et l’expérience a d’ailleurs montré que ces thérapeutes non médecins (qu’il faudrait, si l’amendement passait, repêcher au cas par cas) contribuent à la santé publique avec autant de compétence que leurs collègues formés par la Faculté.

En mettant ainsi l’accent sur cette affaire de formation, en donnant donc à entendre que la priorité des priorités serait de fixer les procédures d’agrément des praticiens, il alimente l’idée reçue d’un univers de charlatans où l’on se mettrait analyste comme on se mettait jadis grand coiffeur : faut-il rappeler à quel point cette idée est non seulement poujadiste, mais fausse ? faut-il redire, non seulement à Monsieur Accoyer mais aux sénateurs qui auront à juger bientôt de son amendement, que rien n’est plus codifié, au contraire, que la formation d’un praticien ? faut-il répéter aux étourdis que les écoles analytiques ont toutes leurs disciplines et leurs procédures de validation, leurs techniques d’évaluation affinées par des décennies d’écoute et de parole, leurs analyses didactiques, leurs séminaires, leurs stages cliniques, leurs contrôles ? il faut le rappeler, oui ; il faut rappeler, aussi, que la formation d’un analyste prend souvent plus de temps que celle d’un médecin ; même si l’on peut craindre, hélas, qu’il ne soit déjà tard et que le mal ne soit déjà fait.

De même pour la réduction de la psychanalyse à une affaire de pure médecine – de même pour cette autre idée reçue, sous-jacente à l’amendement comme au rapport Clery-Melin sur lequel il vient s’adosser, d’une expérience analytique qui n’aurait d’autre visée que thérapeutique. Là aussi, c’est réducteur ; là aussi, c’est faire l’impasse sur toute une autre dimension de cette psychothérapie pas comme les autres qu’est la psychanalyse et qui vise à l’interrogation des choix existentiels du patient ; là aussi, autrement dit, c’est un grand bond en arrière de cinquante ou de cent ans qui nous fait renouer avec les pires idées reçues d’un scientisme dont la coupure freudienne avait, croyait-on, fait justice.

De même, encore, l’idée de « santé mentale » telle que la présupposent et l’amendement et le rapport – de même ces procédures « quantitatives » que les doctrines Accoyer comme Clery-Melin voudraient imposer aux praticiens et dont les opposants à la réforme, regroupés derrière Jacques-Alain Miller, ont aisément démontré que, non contentes de passer à côté de l’essentiel du mal-être qualitatif du sujet, elles pourraient être à l’origine de nouvelles pathologies mentales (cf. les États-Unis, n’est-ce pas… cf. les grandes épidémies qui ont déferlé, là-bas, depuis les années 70, sous le règne des psychothérapeutes « bien formés » : personnalités multiples, faux souvenirs, enlèvements extraterrestres…) : quel recul, à nouveau ! quelle épaisse et navrante bêtise ! et comme on est loin de la profonde réflexion, engagée par le freudisme, sur les notions mêmes de normal et de pathologique, de santé et de malaise, de remède et d’irrémédiable – comme on est loin, avec cette furieuse volonté de guérir, de la plus forte idée du freudisme, de celle dont nous avons tous, au XXe siècle, par-delà même la question des troubles mentaux, le plus profondément appris et qui est celle de l’impossible guérison !

Et je passe, enfin, sur l’étrange façon de parler de ces gens qui, parce que le scientisme – nous devrions le savoir, depuis le temps – a toujours fait bon ménage avec la police, rêvent, je les cite, d’une « planification » rigide d’un « champ de la santé mentale » où régneraient des « coordinateurs régionaux » qui seraient autant de superpréfets de l’âme chargés de dresser des listes de professionnels agréés, d’établir et de comparer des statistiques, de contrôler la durée moyenne des cures, bref, de veiller sur une santé publique conçue sur le mode, une fois de plus, du médicalisme le plus obtus et, surtout, le plus anxiogène…

Il y a, dans tout cela, un parfum de régression qui devrait inquiéter. Il y a, dans cette affaire qui n’en est, hélas, pas encore une, quelque chose de l’éternel débat entre un obscurantisme et des Lumières qui se présentent, comme souvent, sous des visages inversés. Écrasons l’infâme, donc, du scientisme anti-freudien. Faisons barrage, ici aussi, à la marée noire des occultismes. L’amendement Accoyer, j’espère, ne passera pas.


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