Les guerres, autrefois, duraient cinq ans, sept ans, trente ans, cent ans ; celle-ci ne dure que depuis un mois ; et certains trouvent déjà le temps long. Ravage des jeux vidéo ? Trop grande habitude du zapping ?
Dommages « collatéraux », nous dit-on… Cette guerre serait condamnée par ses terribles dommages collatéraux… L’objection est plus sérieuse. Et l’idée d’un seul civil, d’un seul innocent, mort sous une bombe américaine donne la nausée. Mais comment faire autrement ? Les Américains, quand ils bombardaient les Allemands en Normandie, en 1944, n’atteignaient-ils pas, aussi, des innocents ? Et cela les empêcha-t-il d’être accueillis en libérateurs ? Je continue de penser que cette guerre d’Afghanistan est, aussi, une guerre de libération. Je continue de croire que la victoire des armées alliées sera vécue, sur place, comme la délivrance du peuple afghan.
Bush-Ben Laden même combat ? On commence d’entendre cela. On commence, au-delà même de la navrante Arlette Laguiller, d’entendre les habitués du café du commerce renvoyer dos à dos les « terroristes d’Etat » et ceux d’Al-Qaeda. Ce n’est pas seulement inepte. C’est infâme. Car c’est l’argument même du munichisme. C’est le raisonnement de ceux qui, en 1940, à gauche autant qu’à droite, renvoyaient dos à dos la City et Hitler. Ce sont les propres mots de ces autres antiaméricains qui, à l’époque déjà, refusaient de choisir, sic, entre « l’impérialisme anglo-saxon » et le nazisme. L’antiaméricanisme ? Une vieille passion française. Un vieux réflexe conditionné. Pour qui connaît, un peu, l’histoire des idées dans notre pays, c’est un thème qui naît à l’extrême droite et qui, au fond, y est resté.
Serait-il interdit, alors, d’émettre des réserves sur la façon dont Bush mène cette guerre ? Et le refus de l’antiaméricanisme, mêlé à la haine du terrorisme coranique, devrait-il faire taire les autres reproches concrets qu’il y a lieu d’adresser aux Américains concrets d’aujourd’hui ? Non, bien entendu. Compter jusqu’à deux, avoir deux idées à la fois, combattre, par exemple, la peine de mort aux États-Unis en même temps que l’on soutient leur juste guerre contre l’Etat taliban devrait être, me semble-t-il, à la portée des consciences occidentales. Pour ma part, en tout cas, je récrirais, au mot près, ce que j’ai pu dire, ici même, l’été dernier, du côté « serial killer » de Bush, ou de son hostilité au protocole de Kyoto, ou même de sa vision d’une mondialisation échevelée, privée de contre-pouvoirs – mais je n’en ajoute pas moins que cet homme que l’on nous présentait partout comme un personnage obtus ou un crétin a fait montre, jusqu’ici, dans la guerre, d’une vraie intelligence tactique et stratégique.
Taliban modérés, murmure-t-on encore… Il faudrait aider, soutenir, l’aile modérée des talibans… Et ce discours-là, pour le coup, on l’entend aussi, hélas, du côté de chez certains idéologues du Département d’Etat… Question : les mêmes auraient-ils osé parler de « fascistes modérés » ? auraient-ils dit « aile éclairée du nazisme » ? Autre question : imaginons un instant Massoud vivant ; imaginons un Massoud que nous aurions écouté, aidé, lorsqu’il est venu, au printemps dernier, à Paris, tirer les sonnettes d’alarme de l’Élysée et de Matignon – et imaginons que ce Massoud-là soit toujours aux commandes de son armée ; n’est-ce pas très exactement le genre de sottises que l’on aurait du mal à proférer ? cette idée d’un ordre taliban avec lequel on pourrait composer, n’est-ce pas le type même d’idée que la présence de Massoud rendrait absurde, caduque ?
Et si les Palestiniens avaient un Etat, me demande encore, faussement naïf, un journaliste ? Ben Laden en serait-il là, sa parole rencontrerait-elle le même écho, si les Palestiniens avaient obtenu gain de cause ? Je lui réponds ce que Massoud, justement, m’avait dit de Ben Laden. A savoir qu’il se moquait bien de l’islam, qu’il se fichait des Palestiniens et que tout cela – l’islam, les Palestiniens… – n’a jamais été, pour ce chef de secte opportuniste, qu’un moyen parfaitement cynique d’instrumentaliser la rue arabe. Ben Laden, disait Massoud, a eu des combattants au Liban, en Afghanistan, en Tchétchénie, peut-être en Bosnie. Il n’en a jamais eu en Palestine. Pourquoi ?
Où est, me demande enfin un lecteur, votre « islam modéré, éclairé, etc. » ? Où voyez-vous des musulmans « raisonnables », acceptant de ne pas imputer au seul Occident l’origine de leurs problèmes ? Eh bien, un exemple. Un seul. Mais il est de taille. « Ce qui est désolant dans le monde musulman d’aujourd’hui, c’est l’attitude qui consiste à parler uniquement de la responsabilité des États-Unis, de l’Occident, d’Israël. » Puis, un peu plus loin : « le monde arabo-musulman a tourné le dos à la modernité, à la démocratie, à la laïcité, aux principes du droit ». Puis, encore : les États-Unis, c’est aussi « un cinéma, une littérature, des images, des capitaux que les pays arabes veulent voir s’investir chez eux, un pays vers lequel leurs élites essaient d’émigrer et dont elles voudraient acquérir la nationalité ». Qui parle ainsi ? Revel ? Imbert ? Non. Le grand journal arabe de Londres Al-Hayat, cité dans Courrier international du 17 octobre. Et c’est la bonne nouvelle de la semaine.
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