Retrouvé dans mes notes, en marge d’un entretien qu’il m’avait donné pour L’Observateur, cette réflexion de Michel Foucault. C’était en 1976. Au moment même de cette tragédie cambodgienne à laquelle j’ai consacré ma chronique de la semaine dernière. Et je ne peux imaginer que le philosophe n’en ait eu l’horreur à l’esprit en prononçant ces mots. « La vraie question, disait-il, n’est plus de savoir si la révolution est possible, mais si elle est encore désirable. »
Tanger, Paul Bowles, ce soir, hors du petit appartement où il reçoit, d’habitude, ses visiteurs. Nous sommes à l’École américaine. C’est la « première » d’une pièce que son ami Joe Mac Philips met en scène et dont il a écrit la musique. On oublie toujours que Paul Bowles est aussi musicien. Avant d’être écrivain ? Il a la coquetterie de le prétendre. Comme si ce dandy voulait laisser entendre qu’il s’est, comme Stendhal, trompé d’art et de destin.
Voir, à Tanger, sur je ne sais quelle chaîne qui la recycle, l’image du ministre de l’Économie, Dominique Strauss-Kahn, répondant, en allemand, à l’interview d’une télé allemande. L’affaire, me dit-on, fait grand bruit. Normal. Et, en même temps, sidérant. Quoi ? L’Allemagne est censée être, depuis quarante ans, notre partenaire privilégié, notre souci de chaque instant, notre obsession, notre horizon – et il aura fallu attendre si tard pour qu’un ministre de la République s’adresse, dans leur langue, à ces contemporains capitaux ? Bravo au ministre. Et, du coup, comme la République, la France, l’Europe semblent bizarres.
Le beau livre d’Hadrien Laroche, au Seuil, sur le Dernier Genet (« dernier » étant à entendre au double sens d’« ultime » et d’« infâme »). Les textes de ce dernier Genet. Le fait qu’il les édite en arabe, dans des revues palestiniennes. Je vois deux autres cas de grands intellectuels qui ont choisi, comme lui, de publier hors de leur langue. Foucault, donnant en Italie ses fameux écrits « iraniens ». Gary dont il a fallu attendre l’hiver dernier pour découvrir, chez Calmann-Lévy, la traduction française de l’Ode au général de Gaulle. Peut-être aussi certains textes d’Althusser. Que fait-on quand on se conduit ainsi ? que fuit-on ? quel risque conjuré – quelle alliance nouvelle, ou renversée ?
Mort ou pas mort, Pol Pot ? Toujours au Cambodge ou déjà disparu ? La légende court. La rumeur alimente la rumeur. Encore un pas et il se trouvera un amateur de « mystères » pour nous refaire le coup du tombeau ouvert. On a les piétés qu’on peut et les superstitions qu’on mérite.
L’actuel président ni plus ni moins « seul » que ne l’était son prédécesseur, lors des précédentes cohabitations – vaincu lui aussi, boudé par les siens et ne parvenant pas davantage à imposer ses vues, ni ses hommes, au parti qui lui devait d’exister ? Oui et non. Car, entre le parti de l’un et celui de l’autre, cette nuance qui change tout : le parti de Chirac est un parti qui fonctionne au chef, au père, etc. ; c’est une machine où le légitimisme tient lieu de politique à la plupart ; j’imagine le drôle d’effet que cela doit faire de voir un Séguin (l’un de ceux chez qui ce « patérialisme » politique passe pour être le plus fort) rejoindre le camp des parricides officiels…
Encore le Dernier Genet. Cette tache dans l’histoire de sa vie. Cette zone d’ombre. C’est ce que l’on préfère dans la vie d’un écrivain. Ces moments dont on ignore tout et dont on ne sait ce qu’il faut conclure : s’il a trop vécu, ou plus du tout – si le peu de traces laissées tient à l’extinction du moteur biographique ou au fait qu’il s’est mis à tourner, soudain, à plein régime.
Cet autre vieux Tangérois qui avoue : « Depuis la mort de Burroughs, je rêve de lui chaque nuit. » Je songe à Berl hanté par Drieu au point qu’il « finissait par croire à l’immortalité de l’âme » (Cocteau).
Photo dans France-Soir d’un écrivain qui, sous prétexte que ses livres mettent en scène des adolescents, nous est quasiment présenté comme un criminel pédophile en puissance. France-Soir a tort de s’arrêter en si bon chemin. France-Soir devrait, tant qu’il y est, demander la mise à l’index de Gide et de Montherlant, de Socrate et de Lewis Carroll, de Colette. France-Soir devrait exiger des bûchers des vanités pour les œuvres, hautement criminelles, de Pierre Klossowski, de Balthus, de quelques autres.
Un intellectuel juif laïque ? Celui qui peut dire : « je n’ai pas lu la Bible et, pourtant, la Bible m’influence ; je ne connais pas le Talmud mais le Talmud, lui, me connaît ».
Arnaud Viviant, dans Les Inrockuptibles de la semaine dernière : Jospin, en verlan, se dit Pingeot (qui est le nom, comme chacun sait, de l’autre famille de Mitterrand). Legs, reniements – leurs trajets métaphoriques.
Obscure querelle autour de la mémoire (et des inédits) d’Emmanuel Levinas. Les écrivains ne sont jamais assez prudents (ni assez orgueilleux). Ils ne devraient rien laisser au hasard (ni, donc, à leurs héritiers). Une œuvre aux arêtes vives (dont ils auraient eux-mêmes, comme les chefs de guerre qu’ils sont aussi, pris soin d’arrêter la frontière).
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