Encore, toujours, l’Algérie. Ce mythe de notre impuissance face aux tueries. Cette façon qu’ils ont tous – Chirac, Jospin en tête – de répéter, jusqu’à la nausée : « inacceptables sont les massacres ; intolérable est le spectacle des femmes décapitées, des bébés découpés en rondelles ou éventrés ; mais nous n’y pouvons rien ; nous ne ferons rien ; c’est aux Algériens eux-mêmes, et à eux seuls, de mettre un terme à la tragédie ». Et s’ils se trompaient, une fois de plus ? Et s’il y avait là, comme en Bosnie, une erreur d’analyse effroyable ? Et si ce n’était justement plus la seule affaire des Algériens et que les démocraties avaient plus de moyens qu’on ne le dit de peser sur le cours des choses ? En voici cinq. Voici cinq gestes simples, et concrets, qui sont à la portée des gouvernements occidentaux – et, par exemple, de la France.
1. Obtenir de M. Zeroual qu’il tente de casser la spirale de l’horreur enclenchée par les islamistes. La France, c’est le moins que l’on puisse dire, a une certaine « expérience » de la sale guerre en Algérie. Pourquoi ne pas dire, dans ce cas : « nous savons, nous, Français, ce que coûtent la répression aveugle, le ratissage urbain, les exécutions sommaires, la mythologie du dernier quart d’heure » ? Pourquoi ne pas dire à cet État FLN qui est, jusqu’à nouvel ordre, notre seul interlocuteur : « halte à l’État fou ; halte à la vendetta d’État ; les islamistes, si sanguinaires soient-ils, ont droit à des procès ; ils ont le droit, eux aussi, de n’être ni torturés ni massacrés ; c’est en répondant à la terreur par la contre-terreur qu’on finit de ruiner la démocratie et qu’on fait le lit du fascislamisme » ?
2. Exiger de l’État algérien qu’il protège ses populations civiles. C’est le rôle de tout État. C’est, ou ce devrait être, sa tâche la plus sacrée. Or c’est ce que cet État-ci ne fait, précisément, plus. Et c’est l’essentiel du pays qui, à l’exception de la capitale et des champs pétrolifères du Sahara, devient un champ de tir offert à la sauvagerie des bandes armées. Pourquoi ? En vertu de quel calcul, quel compromis, quel obscur partage des rôles ? C’est une autre affaire. Mais l’affaire d’aujourd’hui, l’urgence, c’est de pouvoir dire aux militaires d’Alger : « assez de ces massacres perpétrés à la porte de vos casernes ; assez de ce tango de la mort avec le FIS ; assez de ce poker de la honte avec le GIA ; défendre votre peuple ou l’inviter, comme en Kabylie, à se défendre lui-même est votre premier devoir – c’est sur votre aptitude à le remplir que vous serez jugés par vos partenaires, vos banquiers, les acheteurs de votre pétrole, la communauté internationale ».
3. Exiger l’envoi d’une commission d’enquête internationale sur le lieu des derniers massacres. De deux choses l’une. Ou bien l’Etat algérien s’y refuse – et il alimente les terribles soupçons qui pèsent sur l’implication directe ou indirecte de ses forces de sécurité ; il accrédite, en d’autres termes, la thèse d’un FIS fils du FLN et il confirme qu’il y a là deux forces conspirant à l’éradication des démocrates. Ou bien il y consent, il autorise des parlementaires, des observateurs de l’Onu, des juristes, des médecins, des intellectuels à venir sur les lieux des tueries – et, dans la nuit qu’est, à nouveau, cette guerre sans images ni visages, il permet qu’un peu de lumière advienne : ce ne sera pas la solution miracle ; mais ce sera un premier geste de solidarité ; ce sera un pas en direction de ces millions d’hommes et de femmes atrocement seuls, désemparés.
4. Si la commission d’enquête devait conclure soit à l’implication des forces de sécurité, soit à l’impuissance de l’État à maîtriser une terreur dont il ne serait pas responsable, alors il faudrait obtenir de l’Onu l’envoi d’une force d’interposition du type de celle qui, voilà quelques mois, a conjuré l’implosion de l’Albanie. Pourquoi ce qui fut possible là ne le serait-il pas ici ? En vertu de quelle logique, ou de quelle mauvaise conscience, s’interdirait-on, à Alger, un type d’ingérence que l’on s’est autorisé à Tirana ? Nous nous moquons de votre mauvaise conscience, nous disent les jeunes gens qui vivent, dans l’effroi, cette seconde guerre d’Algérie. Nous n’avons que faire de vos états d’âme et des cadavres dans vos placards. Nous voulons juste être protégés. Juste échapper aux assassins.
5. Si, enfin, les autorités se dérobaient à leurs devoirs, si, pour mieux disposer de leur propre peuple, ou, ce qui revient au même, mieux s’entendre avec leurs adversaires islamistes officiels, elles s’abritaient derrière les grands principes d’on ne sait quel « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », alors il faudrait user d’une arme à laquelle il est ahurissant que nul n’ait l’air de songer : l’arme économique. C’est une arme difficile à manier, sans doute. Mais elle a fait ses preuves en Irak, en Afrique du Sud, dans une moindre mesure en Serbie ou en Iran. Pourquoi, là encore, ne pas essayer ? Pourquoi, en utilisant la menace de l’embargo sur ces exportations d’hydrocarbures dont la nomenklatura au pouvoir tire l’essentiel de ses ressources, et dont le moins que l’on puisse dire est que le peuple algérien n’a, jusqu’ici, guère vu la couleur, ne pas tenter de forcer le destin ? Les Algériens attendent un geste. Ou, à défaut, la confirmation du fait que nous nous lavons les mains de leurs cent mille morts impunies.
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