Naples. Conversation avec un ami sur cette affaire de « charte des langues régionales ». Est-il bien indispensable, me dit-il, d’apprendre aux jeunes Italiens les patois de leurs grands-pères à l’heure où, comme en France, s’impose une novlangue aux accents de McDo et de franglais ? Et puis cet autre argument : il y a des langues majeures et des langues mineures ; il y a, entre ces langues, et selon la qualité des littératures qu’elles ont engendrées, une véritable hiérarchie que seule la démagogie régnante pourrait prétendre effacer ; ne risque-t-on pas, avec cette histoire de « charte », de renforcer donc la démagogie la plus obscurantiste et de faire un mauvais coup, non seulement aux États, mais aux vraies cultures ? Réponse : la charte ne met, justement, pas sur le même pied les langues mineures et majeures. Contrairement à ce qu’on essaie de nous dire, à Paris, il n’est question, dans cette affaire, ni de « détrôner » les langues souveraines ni de remettre en question les « principes fondamentaux de la République ». Et quant à l’épouvantail des fameux « actes publics » rédigés en langues mineures, c’est, évidemment, un pur fantasme puisque le texte stipule, au contraire, qu’aucune « procédure pénale, civile ou administrative » ne pourra être menée dans une de ces langues ; que les « actes liés à ces procédures » devront être rédigés dans les langues « nationales » ; et qu’il sera, au demeurant, interdit de s’adresser aux autorités autrement qu’en langue nationale. Intox, donc. Formidable bourrage de crâne. Et tristesse de voir, dans cette affaire, le chef de l’État baisser la garde face à ses alliés souverainistes. Est-ce la première victoire du parti Pasqua-Chevènement ? Le premier effet tangible de la montée en puissance des nationaux-républicains ?
Long article en première page du Monde (Françoise Chipaux) sur la nouvelle guerre qui fait rage, autour de la question du Cachemire, entre l’Inde et le Pakistan. C’est, sauf erreur, la première guerre directe entre deux pays détenteurs de l’arme atomique. L’un de ces deux pays se trouve être, de surcroît, travaillé par un islamisme radical dont il n’est pas certain – et c’est peu dire ! – qu’il soit très accessible aux fameux codes clausewitziens sur l’équilibre de la terreur, la dissuasion, la montée aux extrêmes sans passage à l’acte, etc. Et quant à l’autre, on n’y a, semble-t-il, même pas eu besoin d’islamisme pour voir la presse ultranationaliste exhorter le Premier ministre à « écrire le dernier chapitre » de cette guerre de cinquante ans contre l’ennemi héréditaire de l’Inde et de l’hindouisme – en clair : déclencher la dernière étape de la lutte à mort et lâcher donc une bombe sur Karachi… Or, à part cet article du Monde et à part quelques vagues entrefilets dans le Corriere, j’ai l’impression que cette affaire – énorme donc, unique, vitale pour ses protagonistes et probablement aussi importante, pour le reste du monde, que, par exemple, l’interminable guerre contre l’Irak – n’intéresse bizarrement personne et, au fond, n’existe pas. Ombre de la guerre du Kosovo ? Éloignement de ce sous-continent indien dont l’Europe, à l’évidence, se fiche ? Mon propre éloignement, peut-être ? Ou bien mon côté « Indes rouges », ma jeunesse au Bangladesh, ma période afghane, mes séjours, au début des années 80, à Peshawar, puis dans la passe de Khyber, qui orienteraient mon regard et me rendraient exagérément attentif ? Allez savoir.
Où commence le dopage ? Où finit-il ? Et de qui se moque-t-on quand on vient nous raconter que les drogues, non contentes de bousiller le corps des athlètes, contreviendraient aux nobles principes qui devraient prévaloir dans les stades ? L’hypocrisie, en l’espèce, est triple. On charge la dope de tous les maux sans oser dire qu’il y a, dans la logique même de certains sports, dans le dressage inhumain qu’ils font subir à l’athlète, dans la violence extrême qu’ils lui imposent (la boxe…), tout ce qu’il faut d’anabolisants « naturels » pour, à terme, épuiser un corps, briser un système nerveux. On nous parle d’« équité », d’« égal » accès de tous à la « performance » et à l’« épreuve », en faisant semblant d’ignorer que le sport, par le type même de supériorité qu’il requiert, par l’inégalité de départ entre les physiologies qu’il met en concurrence et jette les unes contre les autres, bref par son naturalisme forcené, est le lieu par excellence où, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la morale démocratique perd son sens. La direction du Tour de France, enfin, pose à la ligue de vertu et aurait voulu sanctionner, pour l’exemple, tel coureur « contrôlé positif » alors que c’est tout le système (c’est-à-dire non seulement le « public », qui a bon dos, mais la presse, les annonceurs, la télé, les sponsors, les ligues diverses et variées, le business du Tour en général) qui demande des performances de plus en plus folles, inhumaines, à ses champions tout en s’étonnant, ensuite, de les voir se mettre en situation de les accomplir. Modernes jeux du cirque où c’est la tartufferie mais aussi la cruauté qui, comme d’habitude, mènent le bal.
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