Je lui avais consacré ma chronique de rentrée. J’avais dit, ici même, tout ce qui m’enchantait dans son roman : sa drôlerie, son allégresse, l’art du photomontage et du collage, le goût de la fiction qui avale le réel, l’universel reportage devenu matière du récit, la réinscription du temps perdu dans le temps retrouvé, la musique avant toute chose, le secret de l’époque, le rire encore. Bref, ce n’est pas aux lecteurs du « Bloc-notes » que j’ai besoin de dire ma joie, lundi, à l’annonce de ce Goncourt donné, au terme de débats que l’on nous dit très vifs, voire acharnés, au merveilleux Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl. Mais enfin… Le bonheur tout de même de le redire. L’obscur sentiment de victoire quand se voit reconnu un livre qui domine si manifestement le paysage. Schuhl, le « revenant récalcitrant » et, désormais, couronné. Quelle histoire !
Conversation, à Jérusalem, avec un de ces Juifs religieux dont l’attachement aux pierres, la sacralisation de la terre, l’obstination à faire passer la défense et illustration de la Bible avant les intérêts de l’État, en un mot le « fanatisme », sont supposés faire obstacle à l’idée même d’un partage de Jérusalem et à la paix. « Le mont du Temple ? me dit-il. Ce lieu deux fois saint que les Arabes appellent, eux, l’esplanade des Mosquées et sur lequel ils ne cèdent pas ? Pour nous, hommes de la Torah, c’est assez simple. Il nous est interdit d’y prier. Ce lieu est si saint, oui, que la seule idée d’y marcher est déjà une idée sacrilège. Et le vrai scandale Sharon, son crime, sa provocation la plus odieuse en ce fameux matin d’octobre où il est allé, sous bonne escorte, y faire sa parade, c’est moins les Palestiniens que nous, les Juifs, qu’ils visaient. Que Barak se rassure. Qu’il ne nous fasse pas endosser la responsabilité d’un entêtement qui, sur ce point, n’est pas le nôtre. On peut la rendre, cette esplanade – puisque nous n’avons pas le droit d’y aller. »
Laisser leur chance aux personnages, recommandait Truffaut. Et déjà Flaubert : la moindre des choses – il disait « la moindre des morales » – est de se lier d’amitié avec Bouvard et Pécuchet. Un jeune cinéaste américain d’aujourd’hui soutient le point de vue inverse. Il dit – Le Monde du 1er novembre – qu’il est « difficile » d’avoir « de la sympathie pour ses personnages » et que tout son récit est basé, justement, sur un principe de distance et d’anti-empathie radicales. Il s’appelle James Gray. C’était l’auteur, il y a cinq ans, du sublime Little Odessa. Et son nouveau film, The Yards, est encore un chef-d’œuvre. À voir toutes affaires cessantes.
Tiberi le maudit réunit à la Mutualité son dernier carré de fidèles : un triomphe. Séguin le favori, candidat non seulement des droites, mais du Président, prononce, à Charléty, le grand discours-programme supposé lancer sa campagne et rendre à ses partisans des raisons de croire et d’espérer : un climat maussade et découragé. Bizarrerie du spectacle politique et de ses légitimités entremêlées ? Ou bien le tempérament même du député des Vosges qui, avec son œil d’épagneul triste, sa voix perpétuellement cassée, ses impatiences feintes ou réelles, vérifierait, une fois encore, que la mélancolie est le pire de ses ennemis ? C’est dans La mort de Pompée, ou dans Suréna, ou ailleurs encore – je cite de mémoire : « Maître de l’univers sans l’être de moi-même, je suis le seul rebelle à ce pouvoir suprême… »
Deuxième fois – chez Pivot il y a trois semaines et, maintenant, au « Gai savoir » de Giesbert – que l’on voit Angelo Rinaldi trépigner, serrer bien fort ses petits poings et s’en prendre sans élégance à sa consœur, Josyane Savigneau, qui aurait eu le tort, semble-t-il, d’exprimer des réserves sur la prose « sinueuse » de son dernier roman. Que se passe-t-il ? Le « critique le plus redouté de Paris » aurait-il le cuir si délicat ? Ce « styliste hors pair », notre « Tom Proust » national, expert en métaphores, imparfaits du subjonctif et haute littérature, aurait-il plus de mal à accepter la critique qu’à l’exercer ? À moins que ce ne soit l’autre question que posait Savigneau et qui, peut-être, ne passerait pas : celle de l’énigmatique « magistère » qu’exerça, pendant vingt ans, dans « la situation historique, politique et médiatique, des années 70-90 », cet homme qui, comme Sainte-Beuve (Musset disait Sainte-Bévue), confondit le « ressentiment envers ses contemporains » avec « l’esprit d’indépendance » et « la rigueur ». Une autre exception française ?
Poutine à Paris. Cet homme vient chercher non seulement notre reconnaissance, mais nos investissements et notre argent. Que ne lui imposons-nous, en retour, ce minimum de contrepartie que serait l’arrêt du massacre à Grozny ? Chirac a bien essayé. Il a répété « Tchétchénie ! Tchétchénie ! » à chacune des étapes de ce voyage. Mais il en aurait fallu davantage pour entamer l’indifférence têtue, l’aplomb, le cynisme taciturne et sourd, du kagébiste devenu bête d’État et décidé à ne rien céder. « Nous irons buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes », avait-il déclaré, au début de cette sale guerre, avant qu’il ne soit devenu ce « président Poutine », reconnu comme tel par ses pairs et traité avec les égards dus à ce grand peuple qu’est le peuple russe. Eh bien, il y avait à Paris, cette semaine, autour de son passage, une pénible odeur de chiottes et de sang.
Réseaux sociaux officiels