Ainsi donc, il sera dit qu’au pays de 89 et de la Déclaration des droits de l’homme la seule manifestation interdite un jour de 1er mai est celle qui, justement, se réclame des droits de l’homme. Dans la patrie de Voltaire et, paraît-il, de « l’Intelligence », on ne craint plus de frapper des intellectuels, de répondre aux idées par les coups, de couvrir le bruit des mots par celui des matraques et des bottes.
En cette douce terre d’asile que prétend être la Giscardie, on n’hésite pas, apparemment, à retirer leur droit de circuler, de se réunir, de s’exprimer, aux quelques centaines d’exilés qui avaient espéré nous rejoindre et faire de cette fête du travail une fête de la liberté.
Dans une France qui, à juste titre, s’enorgueillit de ses traditions de lutte et d’internationalisme, on laisse autorité à un préfet de police pour décréter qu’un défilé antifasciste, sans patrie et sans frontière, est incongru en une journée que la tradition réserve aux défilés des syndicats.
Un régime qui, enfin, se réclame si volontiers de l’héritage d’indépendance et de non-alignement de celui qui le précéda, ose abdiquer toute dignité, toute fidélité à ses principes, dès lors qu’une poignée de dignitaires soviétiques lui font l’insigne honneur de séjourner dans sa capitale.
En quelques heures, autrement dit, le libéralisme avancé semble avoir pris le parti de toutes les régressions. Celle du droit bafoué et de l’anti-intellectualisme ressuscité. Celle de la xénophobie sournoise et du corporatisme ouvrier. Celle de la lâcheté, enfin, et de la soumission à la puissance. D’un mot, qui dans ce pays, hélas ! Pèse tout son poids de honte : archaïsme vichyssois.
C’est la raison pour laquelle nous avons résolu, Marek Halter et moi-même, au nom du Comité droits de l’homme-Moscou 80, d’en appeler aux lois et aux tribunaux compétents en pareille matière. Tant il est vrai qu’en prenant sciemment le risque d’une interdiction sans doute inique, l’État français a fait aussi le choix, l’espace d’un jour au moins, d’une très singulière politique, que l’on ne saurait, nous semble-t-il, entériner sans réagir.
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