Mais où est donc passé Bernard-Henri Lévy ? « En voyage dans une Amérique que Tocqueville aurait peut-être devinée », titre le New York Times. En « Road trip philosophique », annonce le Washington Post. Et le Philadelphia Inquirer de préciser : « Un ami de l’Amérique sur les traces de Tocqueville. » Car c’est de l’autre côté de l’Atlantique, sur la route et à travers les 50 Etats, que, depuis plus d’une année, Bernard-Henri Lévy a choisi de passer la quasi-totalité de son temps. Au programme : pénitenciers, couloirs de la mort, bases militaires, lieux de culte et de mémoire, villes nouvelles et ghost towns. La question de principe était la suivante : qu’en est-il de la démocratie américaine à l’aube du XXIe siècle ?
A l’origine de ce périple, une idée du prestigieux mensuel The Atlantic Monthly, et notamment de son propriétaire, David Bradley, qui juge la conjoncture idéale pour envoyer un intellectuel étranger redécouvrir l’Amérique. Le rédacteur en chef du magazine, Cullen Murphy, pense immédiatement à Lévy, dont il vient de lire Qui a tué Daniel Pearl ? « Je connaissais depuis longtemps son travail, explique-t-il. Et c’était un Français qui n’avait jamais été viscéralement anti-américain. Il m’a semblé être celui qu’il nous fallait pour, dans le sillage du 11 Septembre, alors que les Américains se voyaient contraints de reconsidérer leur place dans le monde, nous tendre ce miroir d’un regard étranger. »
En mai 2004, la feuille de route est signée : un supplément au voyage de Tocqueville, qui ajouterait au parcours de 1831 les régions inexplorées par le jeune aristocrate normand. Ce sera donc l’Amérique entière : de Seattle à Los Angeles, de Memphis à Savannah, de Dearborn à Guantanamo. Et puis, il y aura, au fil du voyage, le jeu des rencontres et des face à face : Jim Harrison et Norman Mailer, Hillary Clinton ou George Bush, mais aussi, des filles de mineurs, des condamnés à perpétuité, de nouveaux immigrants. Écrit en français, le texte est traduit par Charlotte Mandell. Le résultat consiste en sept volets dont le premier est paru début mai dans l’Atlantic. Le tout sera rassemblé en un livre, American Vertigo, que publiera en janvier 2006 le géant de l’édition américaine Random House.
« Ce projet a créé un enthousiasme que je n’avais jamais vu, ici, pour un écrivain étranger », explique Will Murphy, senior editor à Random House, qui souligne l’exceptionnel intérêt des Américains pour un intellectuel européen. « Certes, il y a eu des universitaires, mais personne qui ait un tel impact sur notre débat public », ajoute-t-il.
Dès la première livraison, et selon les premières estimations, les ventes de l’Atlantic ont augmenté de 20 %, indique l’éditeur. La couverture médiatique est exceptionnelle : chaînes câblées, radios nationales, presse écrite, conférences à la New York Public Library ou à la New School. Le journaliste Charlie Rose, le Bernard Pivot de l’Amérique contemporaine, a convoqué Lévy quatre fois depuis 2003, et ce, en dépit d’un accent français généralement rédhibitoire pour la télévision américaine.
« C’est le débat sur le sens de l’Amérique aujourd’hui qui interpelle les lecteurs, poursuit Will Murphy. Je crois que toutes les raisons qui font que Bernard-Henri Lévy est détesté par certains dans son pays feront qu’il sera adulé ici, car il appartient à cette espèce curieuse et rare : l’intellectuel flamboyant. » Commentaire de l’intéressé : « C’est curieux, je ne m’attendais pas à ce que ce pays m’accueille de cette façon. Mais, à vrai dire, l’aventure ne fait que commencer… »
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