C’est une immense boîte en bois plate posée contre le mur blanc d’une salle de cet éternel paradis enfantin qu’est, à Saint-Paul de Vence, la Fondation Maeght. Dévisseuses en main, des transporteurs spécialisés s’affairent sous les regards experts du convoyeur et d’une régisseuse.
Le commissaire Bernard-Henri Lévy dissimule mal son excitation. Dans quelques secondes, il fera face à Alkahest, la toile monumentale qu’il a spécialement commandé à Anselm Kiefer pour « Les Aventures de la vérité », l’exposition qu’il a imaginée et conçue autour des relations entre peinture et philosophie.
Stations. Lorsqu’Olivier Kaeppelin, le directeur de cette fondation qui, enfin, de nouveau s’agite, lui a proposé de devenir, le temps d’une saison, curateur, l’écrivain a d’abord pensé à cela : la possibilité de passer commande à des dizaines d’artistes. Et c’est d’un dialogue dans l’atelier de Kiefer qu’est née cette toile géologique, paysage de montagne où BHL croit deviner la silhouette du « fou de Sils-Maria », un échange sur la différence entre l’origine et le commencement du monde. D’autres dialogues, avec Miquel Barceló, Daniel Buren, ont abouti à quelques œuvres parmi les 160 montrées en sept stations, comme autant de moments d’un récit, qui ne saurait demeurer chronologique, pour dire le combat, parfois féroce, entre art et philosophie en vue de la vérité.
Autant le dire d’emblée : la première exposition de Bernard-Henri Lévy ne bluffe pas ; elle impressionne, et surtout convainc. Le raisonnement implacable qu’elle déroule comme l’histoire rocambolesque qu’elle conte ne s’affichent pas sur d’interminables panneaux de textes mais s’écoutent, dans les mises en résonances de chaque salle où se côtoient maîtres de la Renaissance, stars de l’art contemporain et génies de l’art moderne.
Gourou situ. Pris au jeu de cette aventure inédite pour lui, l’écrivain s’est efforcé de convaincre des relations de laisser sortir de leurs collections des toiles jamais vues, ou presque. Telle cette crucifixion d’un jeune Pollock d’avant dripping qui se retrouve nez à nez avec la crucifixion de dos, de Maurizio Cattelan. Tel un Rothko quasi inédit. Une pièce majeure achevée à la hâte par les frères Jake et Dinos Chapman et dévoilée ici en avant-première. Ou encore ces trois toiles sauvées de Guy Debord, qui ne figurent pas dans l’expo de la BNF, et par lesquelles le gourou situ entendait mettre un terme à toute peinture, n’hésitant pas pour cela à barbouiller une œuvre de Giuseppe Pinot-Gallizio, peintre qu’il avait révélé avant de le détruire, et qu’on découvre à Saint-Paul. Où l’on peut enfin (re)voir une œuvre collective légendaire qui, à elle seule, mérite le voyage : la fameuse Datcha où l’on reconnaît dans une ambiance sixties très hockneyenne les visages baignés de bleu de Lévi-Strauss, Foucault, Lacan et Barthes – et la figure enflammée d’un Althusser out.
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