Il y a des années où le cours de l’Histoire s’affole, les évènements se précipitent en crue. Où tout recommence comme avant, à la lettre près. Tel fut 2014, que ce début 2015 creuse de plus belle. L’histoire ne repasse jamais les plats, disait Céline. Rien n’est plus faux. Ce que l’on croyait derrière nous revient avec une force rajeunie, plus désespérante que jamais. L’Ukraine bafouée, comme hier la Bosnie, par le nationalisme ethnique ; le retour du soviéto-tsarisme en Russie ; l’Europe en proie aux populismes new look ; la résurgence de l’antisémitisme ; Daech et Boko Haram après Al Quaïda. Tous les mauvais fantômes sont là de nouveau, qui laissent l’Occident désemparé devant la montée des périls. A commencer, aux portes de l’Europe, par l’Ukraine.
Il y a un an, c’était la révolution du Maïdan. Kiev se libérait, drapeau européen en main, de la tyrannie d’un despote à la solde des Russes. Un contingent d’amoureux de l’Europe était venu saluer cette révolution en marche de la liberté, dont, pour la France, parmi quelques-uns, Bernard-Henri Lévy qui, son tour venu, s’adressa au Maïdan, succédant ce dimanche froid de fin janvier à un orateur consommé, un certain Porochenko, dont l’interprète traduisit le discours puis le salut du Français à la foule du Maïdan. Une année ukrainienne commençait pour nous ce jour-là, qui allions vivre à l’heure de Kiev comme, il y a vingt ans, nous vécûmes à l’heure de Sarajevo.
Ianoukovitch fut renversé le 21 février. Retour dans la foulée à Kiev pour monter un Forum européen avec le philosophe Constantin Sigov et des intellectuels ukrainiens.
Rendez-vous avec les activistes du Maïdan, rencontre de nouveau avec Vitali Klitschko, avec Ioulia Timochenko libérée et très mal en point et avec Petro Porochenko qui s’engage à soutenir le Forum. La Russie s’empare de la Crimée fin février. Dans la foulée, les séparatistes du Donbass et les Russes soulèvent l’Est du pays. Le sort de l’Ukraine est en jeu. Vue depuis Paris, la campagne pour l’élection présidentielle fixée fin mai n’a pas reçu l’écho que l’enjeu représente désormais pour l’Ukraine et tout autant pour l’Europe.
Retour des mêmes, Timochenko recyclée ? Ou nouvelles têtes issues du Maïdan ? Lévy organise la venue à Paris de Klitschko et Porochenko (qui ne s’était pas encore déclaré) pour rencontrer les amis français de l’Ukraine, se faire connaître de Hollande et du monde politique parisien. Tous trois concluent cette journée du 7 mars par un vibrant meeting avec les Ukrainiens de France. Porochenko se déclare peu après candidat. Il emmènera Lévy dans ses meetings à Dniepropetrovsk et ailleurs dans le Donbass. Il est élu au premier tour le 25 mai. Débarquant à Kiev deux ou trois semaines plus tôt à son invitation, la radio nous apprend que François Hollande vient de convier le sieur Poutine, dépeceur de l’Ukraine, au soixante-dixième anniversaire du Débarquement en Normandie. Lévy suggère dans un message pressant au Président français que l’Ukraine, qui a perdu sept millions de morts à elle seule durant la seconde guerre mondiale et dont un bataillon a libéré Auschwitz, soit, elle aussi, présente sur les plages du D Day. Elle sera invitée le soir-même. Cela donnera le 6 juin le fameux « format Normandie », une réunion dont Porochenko créditera l’idée à Lévy par un communiqué début août, à la veille de la représentation d’Hôtel Europe, jouée par l’auteur lui-même, sur la scène de l’Opéra d’Odessa.
Depuis des mois, l’affaire de la livraison des Mistral à la Russie altérait le soutien que la France témoignait par ailleurs à l’Ukraine en guerre. Pour mieux damer le pion au maître du Kremlin et à son arrogance, Lévy qui campagnait article après article contre ces livraisons, suggère au lendemain d’Odessa aux Ukrainiens, dans un franc éclat de rire, de se porter acquéreurs des bateaux. C’était, bien sûr, trop beau et du pur donquichotisme, et nous avons tous beaucoup ri dans le bureau présidentiel. Mais les bateaux n’ont pas été livrés. Lévy eut la primauté d’en transmettre l’assurance aux intéressés.
Il y eut encore ce voyage d’automne à Kiev à l’invitation de la Fondation Pinchuk pour les arts, où Lévy plaida pour un grand musée à Babi Yar, sinistre haut-lieu de la Shoah par balles, dont Porochenko promit la construction avant de se rendre lui-même à Auschwitz pour le soixante-dixième anniversaire de la libération du camp par un bataillon ukrainien, un évènement mémoriel que le sieur Poutine bouda sans complexe…
Un an jour pour jour après la victoire au prix fort du Maïdan, dans le cadre des cérémonies en hommage aux héros tombés sur les barricades, Lévy fut invité à rejouer Hôtel Europe sur la scène de l’Opéra national d’Ukraine. Nous avions quelques jours auparavant, la veille même du sommet de Minsk, accompagné de nuit Porochenko à Kramatorsk, une ville de l’Est ukrainien qu’un missile Smersh, lancé par les Russes à cinquante kilomètres de là, venait de martyriser en pulvérisant des milliers de petites billes d’acier sur la population de retour du marché. Le martyre de Kramatorsk fut intégré dans Hôtel Europe.
L’Ukraine en guerre n’a pas, à ce jour, reçu les armements défensifs qui permettraient d’arrêter à Marioupol et ailleurs, la poussée des séparatistes et des petits hommes verts venus de Russie en vue de la Nova Rossia. Mais un autre combat, tout aussi essentiel pour l’Ukraine de demain demande à être livré, dont le sort, celui-là, est entre les mains de l’Europe : l’économie. L’Ukraine agressée est exsangue, ses finances épuisées par la guerre, le Donbass industriel aux mains de l’ennemi, la production en chute libre. C’est, de surcroît, un pays qui, comme la Pologne et d’autres satellites au sortir du communisme, doit réformer dans l’urgence un appareil d’Etat hérité du passé, purger une administration corrompue, moderniser un tissu industriel obsolète, inventer une nouvelle législation, privatiser de larges secteurs défaillants, mettre fin à la dépendance et au chantage au gaz russe. Cette tâche immense, les Ukrainiens ne peuvent la mener sur leurs propres ressources, tout entières obérées par le conflit en cours.
Rencontres après rencontres à Kiev, l’idée a germé d’un Plan Marshall en faveur de l’Ukraine, dont Lévy, avec le feu vert des Ukrainiens, s’est fait le commis voyageur auprès du FMI et de personnalités européennes de tous bords, idée qui a débouché sur une grande conférence à Vienne ces jours derniers, qui, à l’invitation conjointe du patronat et des syndicats ukrainiens, réunissait tout un aéropage d’Européens ayant l’Ukraine et son avenir dans la Maison commune à cœur.
Une nouvelle année ukrainienne commence sur ces deux fronts du soutien politique et de l’économie. Mourir pour l’Ukraine dont le sort serait scellé, répètent à satiété les éternels défaitistes. Non. Aider un grand pays aux portes de l’Europe à triompher de l’adversité et du malheur pour l’intégrer, la paix revenue et les réformes accomplies, dans la grande famille des peuples libres qu’elle aspire de toute son âme et toutes ses forces à rejoindre, car tel est son vrai destin et sa seule garantie d’indépendance.
Bernard-Henri Lévy, l’Ukraine, le Plan Marshall
Par Gilles Hertzog
Article paru dans La Règle du jeu, 06 mars 2015
Une nouvelle année ukrainienne commence sur les fronts du soutien politique et de l’économie. BHL propose un plan d’aide.
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