Le problème n’est évidemment pas de discuter, ou non, avec les Syriens – tous, peu ou prou, le font.

Il n’est pas d’aller rencontrer, à Damas, le chef en exil du Hamas – les mêmes, Israéliens compris, finiront un jour ou l’autre par s’y résoudre en vertu du vieux principe selon lequel c’est avec ses ennemis, pas avec ses amis, qu’il faut, à la fin des fins, dialoguer, faire la paix et s’entendre.

Non.

Le problème c’est la façon dont l’ex-président Carter s’y est pris.

Le problème c’est l’inutile et spectaculaire accolade donnée, à Ramallah, au dignitaire du Hamas Nasser Shaer.

Le problème c’est cette gerbe pieusement déposée sur la tombe d’un Yasser Arafat dont il sait, mieux que quiconque, l’obstacle qu’il fut à la paix.

Le problème c’est, au Caire, et à en croire un autre responsable du Hamas, Mahmoud al-Zahar, qui n’a pas été démenti, le fait qu’il ait pu qualifier de « mouvement de libération nationale » un parti, le Hamas donc, qui a fait du culte de la mort, de la mythologie du sang et de la race, de l’antisémitisme version Protocoles des Sages de Sion, les piliers de son idéologie.

Le problème c’est, encore, le formidable pied de nez que lui a adressé le chef en exil du parti, Khaled Mechaal, en lançant, à Keren Shalom, alors même qu’il le recevait, son premier gros attentat à la voiture piégée depuis plusieurs mois – et le problème c’est que l’événement n’arracha au pauvre Carter, tout empêtré dans ses calculs de médiateur au petit pied, pas un mot d’émotion ni de réprobation.

L’ex-président, dira-t-on, est coutumier du fait.

Et ce n’est pas d’hier que date l’étrange dérive de celui qui fut, il y a trente ans, l’un des artisans de la paix avec l’Égypte et qui n’a cessé, depuis, de vilipender Israël, de comparer son système politique à celui de l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid, d’ignorer son désir de paix non moins réel que ses erreurs, de nier jusqu’à ses souffrances (entre autres exemples, cette intervention, il y a un an, sur la chaîne de télévision CBS où il déclarait que son cher Hamas n’avait plus commis, depuis des années, le moindre attentat ayant coûté la vie à des civils – et cela, à quelques mois du meurtre de six personnes au terminal de Karni et de celui, le 30 août 2004, de 16 occupants de deux bus à Beer-Sheva).

Une chose est, pourtant, de parler à CBS ; une autre est de prononcer les mêmes mots, sans mandat, mais fort d’une indiscutable autorité morale, au plus près des belligérants.

Une chose est de dire, à Dublin, le 19 juin 2007, que les vrais criminels ne sont pas ceux qui claironnent comme Mechaal qu’Israël doit, « avant de mourir », être « humilié et dégradé » mais ceux qui préféreraient voir ces sympathiques personnages écartés tôt ou tard (et, si possible, plus tôt que tard) des cercles du pouvoir – une autre est de venir, sur place, appuyer de tout son poids les éléments les plus radicaux, les plus hostiles à la paix, les plus profondément nihilistes, du camp palestinien.

La vérité est que, voudrait-on déconsidérer l’autre bord, voudrait-on achever d’humilier et ridiculiser le seul dirigeant palestinien – Mahmoud Abbas – qui continue, au péril de sa vie, de croire à la solution des deux Etats, voudrait-on, en un mot, ruiner les derniers rêves des hommes et femmes de bonne volonté qui croient encore à la paix, que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

Alors, qu’est-il arrivé à l’ancien Prix Nobel de la paix ?

Est-ce la vanité de celui qui n’est plus rien et qui veut, avant de quitter définitivement la scène, un dernier quart d’heure de lumière ?

Est-ce la sénilité d’un politique qui a perdu le contact avec le réel et, au passage, avec son parti (Barack Obama, plus nettement encore que sa rivale, vient de rappeler qu’il n’est possible de « s’asseoir » avec les gens du Hamas que s’ils « renoncent au terrorisme, reconnaissent le droit d’Israël à exister, et respectent les accords passés ») ?

Serait-ce une variante de la haine de soi et, en l’espèce, la haine de son propre passé de grand faiseur de paix ?

Toutes les hypothèses sont permises.

Mais ce qui est sûr c’est que l’ex-président Carter avait un point commun avec le bientôt ex-président Bush : ce sont deux born again, deux chrétiens « nés une deuxième fois », avec tout ce que cette mystique, fréquente dans les Églises évangéliques, suppose d’obscurantisme.

Il en avait un autre, que ne dément, hélas, pas la fin du mandat du second : ils resteront, l’un comme l’autre, dans un ordre que l’Histoire saura déterminer, comme deux des plus mauvais présidents qu’auront connus les États-Unis.

Eh bien en voici un troisième, lié aux deux premiers et dont le cas de Jimmy Carter apprend qu’il survit, hélas, et pour longtemps, à l’exercice du pouvoir (avis à ceux qui s’imaginent être, dans six mois, définitivement débarrassés de Bush !) : une identique capacité à transformer une erreur politique en une désastreuse faute morale


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