À ceux qui ne l’auraient pas encore compris, je rappelle les données de base.
Nous vivons dans un monde marqué par un recul géostratégique sans précédent de l’Occident en général et des États-Unis en particulier : lâchage de nos alliés kurdes et de la vaillante Arménie… chute de Kaboul laissée aux talibans… la fameuse ligne rouge d’Obama qui n’empêcha pas Bachar el-Assad de gazer impunément les enfants de la Ghouta… sans parler du parfum de décomposition dont le trumpisme est l’un des noms mais qui flotte sur toutes nos Républiques… les exemples sont légion, chacun les a en tête…
Et puis ce monde est, deuxièmement, celui de cinq empires que l’on croyait défunts mais qui, voyant le vide laissé par ce reflux sans précédent, flairent l’aubaine, sentent leur heure revenue et se prennent à rêver d’une possible résurrection : Erdogan et son délire ottoman… l’Iran et son croissant chiite qui, de Beyrouth à Téhéran en passant par Bagdad, occuperait le vide que nous créons… les routes de la soie chinoises… l’islam radical tentant sa chance dans les territoires perdus de la République-monde… et, donc, la Russie dont on ne rappellera jamais assez qu’elle a envahi l’Ukraine, non parce qu’elle risquait d’ entrer dans l’Otan, mais parce que l’Otan avait fait savoir qu’elle n’y entrerait pas…
À partir de là, de deux choses l’une.
Ou bien nous disons que trop c’est trop et qu’il y a des limites à la reculade.
Armés du courage qui nous a fait défaut dans le Haut-Karabakh ou à Kirkouk, nous accompagnons les Ukrainiens jusqu’au bout de leur guerre de libération (contre un empire revanchiste), de leur bataille pour le droit (y compris le droit international) et de leur volonté d’embrasser des valeurs qui sont les nôtres (faut-il rappeler que leurs enfants mouraient, en 2014, sur le Maïdan, en serrant entre leurs bras le drapeau de l’Europe ?).
Nous leur donnons ce dont ils ont besoin pour intimider l’agresseur, faire jeu égal avec lui et, forts d’une vaillance sans pareille, gagner finalement cette guerre.
Nous réapprenons, après des décennies d’atermoiements et accommodements, à parler à la Russie la seule langue qu’elle entende et qui est celle de la force contre la force.
Et, donnant un coup d’arrêt à cette chute lente (la nôtre), à cette offensive qui semblait irrésistible (celle des cinq rois), à cette entropie généralisée (le monde comme une jungle où les peuples redeviennent des loups pour les autres peuples), nous rétablissons, au moins pour un temps, l’ordre international né sur les cendres du nazisme.
Ou bien nous n’en faisons rien.
Soit par peur (« la Russie est une puissance nucléaire ») soit par lassitude (« la contre-offensive ukrainienne est trop lente »), nous finissons par lâcher prise et cédons au criminel de guerre Poutine une part, même infime, de ce qu’il voulait lorsqu’il a défié le monde en lançant cette guerre sans précédent, en Europe, depuis 1945.
Le message, alors, sera reçu cinq sur cinq par chacun de ses compères qui, l’un à Taïwan, l’autre en mer Égée, le troisième au Proche-Orient et d’autres, partout ailleurs, auront les yeux rivés sur l’issue du bras de fer, constateront que le crime paie et estimeront la voie libre pour leurs rêves impériaux provisoirement complémentaires.
L’Occident, battu en brèche, deviendra l’homme malade de la planète.
Ses anciens alliés, voyant le vent tourner, iront se placer sous la protection de puissances tutélaires jugées plus fiables.
Nous perdrons en influence et rayonnement.
Et croyant, en ayant lâché une terre d’Europe kidnappée qui voulait revenir à la maison commune, avoir évité une guerre mondiale (sic), nous aurons donné à tous les va-t-en-guerre du monde le signal qu’ils n’osaient espérer pour allumer, partout, leurs incendies – et nous récolterons, comme à l’accoutumée, et le déshonneur et la guerre…
À ceux qui ne veulent pas voir si loin et estiment juste que ce conflit coûte trop cher et appauvrit chaque famille, aux États-Unis par exemple, de 800 dollars par an, on rappellera que la géopolitique n’est pas le luxe des nations mais une condition de leur prospérité.
On soulignera que, par les biens, services, matières premières vitales, terres rares ou puces électroniques qu’ils nous vendent (ou achètent) à prix d’ami, nos alliés contribuent à la richesse de nos pays.
Et l’on ne s’étonnera pas lorsque ceux-ci, scrutant l’issue de cette guerre-test et appréciant notre détermination au trébuchet de leurs illusions perdues, jugeront plus conforme à leurs intérêts de mettre leur avenir en d’autres mains ; de renverser, qui en Afrique, qui dans le monde arabe, qui en Asie, leurs systèmes d’alliances ; et de rejoindre par exemple les Brics dont l’objectif avoué est de remettre à leur place nos économies, nos monnaies, nos modèles.
La justice, d’apparence, y gagnera.
Mais ces pays émergents étant, souvent, aux mains de généraux putschistes, de bourgeoisies compradores ou d’oligarques moins contrôlés que leurs homologues occidentaux, nombreux seront les opprimés turcs ou chinois, les nouveaux esclaves des contrées soumises au joug de l’islam radical, les femmes iraniennes ou afghanes, à être victimes de ce terrible calcul.
Ce basculement géopolitique n’est ni dans leur intérêt ni dans le nôtre.
Et c’est pourquoi il est vital, pour tous, quoi qu’il en coûte, que la Russie soit défaite.
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