Texte cosigné avec Fodé Sylla

De toutes les nuisances induites dans la société française par l’existence du Front national, il en est une dont on ne parle guère, mais qui n’est pas la moindre : l’ahurissante quantité de faux débats qu’il ne cesse, d’élection en élection, de faux lapsus en vraies provocations, d’injecter dans nos esprits.

C’était la fameuse querelle, par exemple, sur les bonnes questions et les mauvaises réponses… Perdre son âme ou les élections… Interdire le FN ou le tolérer… Diaboliser ou banaliser… Front républicain ou non…

Mais voilà que, dans ce concert déjà passablement cacophonique et dont la cacophonie même était, à soi seule, une victoire pour le lepénisme, viennent de s’ajouter quelques nouvelles questions, plus vaines et absurdes que jamais, nées de la conquête par le Front des mairies de trois grandes villes.

Ce sont ces nouvelles questions que nous voulons tenter de disqualifier en organisant, à La Seyne, ce 14 Juillet, un grand concert républicain.

1. Toulon ou Paris. La base ou le sommet. Ceux qui combattent le Front au quotidien et ceux qui se contenteraient, selon les médisants, d’une résistance – médiatique – de 24 heures. Eh bien, à Toulon, ils se retrouveront. Et s’ils peuvent se retrouver, si le malentendu a pu être enfin levé c’est que, entre les uns et les autres, un pacte s’est noué. Que Monsieur Le Pen se le dise : les plus farouches de ses adversaires sont résolus à ne plus se quitter, à ne plus offrir le spectacle d’une division qui ne profite qu’à lui et à faire de ce concert la première étape d’une longue marche où ils iront, même si c’est chacun leur pas, dans une identique direction. Au-delà du 14 Juillet ? Chez les artistes qui, ce soir-là, feront le voyage à Toulon comme chez ceux qui, le lendemain, auront à continuer, sur le terrain, la résistance, une même détermination : celle de ne plus lâcher la prise.

2. La culture ou le peuple. Les festivals ou les quartiers. Que n’a-t-on entendu sur le sujet ! Combien de niaiseries sur une prétendue « fracture sociale » qui, à Toulon même diviserait les amateurs de culture savante et ceux qui vivraient au rythme du rap et de la « haine » ! Eh bien, là aussi, les sophistes en seront pour leurs frais : car c’est un autre mérite de ce concert que d’avoir d’ores et déjà fédéré les festivaliers de Châteauvallon en la personne de Gérard Paquet et les jeunes antiracistes des banlieues représentés par Boubakar Rezzouz et son association « Toulon c’est nous aussi ». Front uni contre le Front. Rassemblement républicain. Tant pis pour les théoriciens des deux France qui diagnostiquaient une irréparable « cassure » où le lepénisme verrait sa ressource la plus sûre : la cassure existe ; rien n’est plus urgent, c’est certain, que de tenter d’y remédier; mais elle n’empêchera, ni ce 14 Juillet ni au-delà, les démocrates de se rejoindre.

3. Boycott, pas boycott. Y aller ou déserter. La reconquête par les idées ou la stratégie du cordon sanitaire. Chacun, ici encore, a avancé ses arguments. Chacun a déployé des trésors de rhétorique pour justifier ceci puis son contraire. Jusqu’au jour où un Patrice Fontanarosa ou une Marielle Nordmann, décident de jouer à Orange mais en versant leur cachet à SOS Racisme. Et jusqu’à ce concert de demain qui, de nouveau, par son évidence, nous met tous, soudain, d’accord. Il suffisait d’y penser. La Seyne et pas Toulon – ce qui permet à Bruel de venir sans se renier. Toulon tout de même, ou sa très proche banlieue – ce qui permettra aux exclus et aux militants anti-Le Pen de saisir d’un même regard la scène du concert, le bâtiment d’une mairie dont le maire sera, désormais, de plus en plus isolé et la perspective d’une rade où, quelques heures plus tôt, Jean-Marie Le Pen sera venu donner l’indécente image d’un responsable néofasciste saluant l’armée française.

Ajoutons enfin qu’il n’est pas indifférent que cette nouvelle fédération anti-Le Pen se constitue un 14 juillet, semblable à d’autres 14 juillet, celui de 1789 et, mieux encore, de 1790 – où l’on vit les composantes éparses de la société française affirmer d’un même élan leur vouloir-vivre ensemble. Le Front national avait déjà privatisé Jeanne d’Arc. Il a tenté, depuis des années, de faire main basse sur la Nation et ses emblèmes principaux. Voici un autre symbole, et quel symbole ! dont il voudrait, on le sent bien, faire sa pâture de la saison : Jean-Marie Le Pen se moquait finalement bien d’aller ou non à Orange – mais ne renoncerait à aucun prix à venir parader ici, en ce jour fondateur de la mémoire française et à y associer l’image pestilentielle de son mouvement. Cela non plus, nous ne le permettons pas. Ce hold-up d’un nouveau genre, c’est ce que ce concert s’efforce d’empêcher. Et il le fait en rappelant que ce beau 14 Juillet est une fête moins nationale que civique ; que c’est l’anniversaire du contrat social moderne et non d’une victoire militaire ; que c’est le jour des citoyens et non des xénophobes et des chauvins ; que c’est, en un mot, la fête à Voltaire et non pas à Déroulède ou à Pétain.

Un concert comme une conjuration. Un concert pour dire : « le 14 Juillet c’est la République – et pas touche à la République ». Une force de réaction rapide mais qui, elle, fonctionne déjà – alors qu’elle ne fait que s’installer : demain soir, à La Seyne, Cheb Mami, M.C. Solaar, Touré Kunda, Michel Boujenah, Manu Dibango, Patrick Bruel et les autres seront là pour entonner, d’abord, des chants républicains.


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