Depuis le 11 septembre 2001, le monde est entré dans une nouvelle ère. Les éditorialistes, les reporters de guerre, les experts, les politiques, les militaires se sont succédé pour essayer de nous faire comprendre vers quels nouveaux abîmes nous glissions.

Ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer qu’ils ont en partie échoué. Sans doute faillait-il le regard d’un écrivain pour ordonner le chaos. Or les écrivains, depuis deux ans, brillent par leur absence. Peu d’essais, pas de fiction : comme si l’événement le plus important depuis Hiroshima n’était jamais advenu !

L’Histoire comme un roman

Or voici qu’un écrivain sort de la réserve dorée des lambris et des salles de bal. Un écrivain contesté, précédé par les rumeurs et l’image. Mais un écrivain quand même.

J’ai pu, dans ces mêmes colonnes, prendre des distances critiques vis-à-vis de certains livres de Bernard-Henri Lévy. Faut-il préciser qu’en matière de critique littéraire, je ne crois pas à l’objectivité mais à l’honnêteté ? Écrivons donc les choses honnêtement, simplement : ce « romanquête », publié après une année de voyages, est un petit bijou.

Le style est à la fois limpide et torrentiel, celui d’un excellent journaliste. L’enquête nous entraîne à Londres, Kandahar, Washington, New Delhi, Karachi, ne laisse rien au hasard et ne fait jamais état du moindre présupposé, elle est digne d’un grand investigateur.

Bernard-Henri Lévy vient de réussir un maître livre, dans la lignée de ses Réflexions sur la guerre, le mal et la fin de l’Histoire. « L’histoire comme un roman, le roman comme une histoire », écrivait le grand Norman Mailer en ouverture des Armées de la nuit.

Bernard-Henri Lévy est le digne successeur de Mailer et de ses acolytes Truman Capote et Tom Wolfe, les trois mousquetaires du « nouveau journalisme ». Il met son âme à nu et ses tripes à l’air. Son obsession : achever le reportage que les fous de Dieu avaient volé à Daniel Pearl, reporter au Wall Street Journal, en l’égorgeant avant d’enterrer son corps, découpé en 17 morceaux, dans des sacs plastiques.

Sépulture de papier

Daniel Pearl, 38 ans, était « juif, journaliste, américain ». Grâce à BHL, un homme condamné à l’oubli est entré dans l’Histoire : Daniel Pearl a croisé le chemin de l’Histoire une première fois le 31 janvier 2002, le jour de sa mort ; avec ce livre, il est entré dans l’Histoire des Lettres, cette élégante un peu capricieuse qui sait pourtant métamorphoser une vie en destin.

BHL retrace sa vie, ses projets, son enquête. Il met à jour les découvertes faites par Pearl et qui le conduisirent à la mort. Cette enquête fait de ce livre bien plus qu’un témoignage sur Daniel Pearl : BHL y développe des thèses audacieuses et étayées. Et il met les pieds dans le plat !

En effet, les intellectuels français et américains sont pris dans une contradiction dont ils ne parviennent guère à sortir : ils désapprouvent la guerre en Irak au nom du droit international, mais savent parfaitement qu’on ne peut que se réjouir de voir tomber le régime barbare et tortionnaire de Saddam Hussein. BHL sort de ce dilemme et montre, preuves à l’appui, que les Américains se sont trompés d’ennemi : les armes de destruction massive se trouvent au Pakistan (qui possède, rappelons-le, l’arme atomique) et non en Irak. C’est à Karachi que les dispositifs du terrorisme se mettent en place, pas à Bagdad. Quant aux services secrets pakistanais, ils étaient informés des attentats qui allaient être commis le 11 septembre 2001.

Autre héros de ce « romanquête », Omar Sheikh. C’est l’assassin de Daniel Pearl. Et la preuve vivante que l’intégrisme islamiste est l’enfant naturel de l’islam et de la modernité, du Coran et de l’Occident. Sous la plume vive de Bernard-Henri Lévy, les terroristes islamistes ressemblent aux Possédés de Dostoïevski.

L’écrivain est au meilleur de sa forme : il ne renonce jamais.


Autres contenus sur ces thèmes