Ce livre épais comme une Bible, on se dit qu’on n’en verra jamais la fin et pourtant il vous brûle les doigts, vous ne pouvez plus le quitter. On a souvent traité BHL d’ensorceleur et de séducteur, que n’a-t-on dit qu’il est avant tout un travailleur infatigable qui requiert de son lecteur, la même endurance, en un mot la même passion ?
Son livre enquête est un formidable « romanquête » où il a raison d’invoquer les mannes de Norman Mailer dissertant sur JFK et de Sciascia évoquant Aldo Moro assassiné par les Brigades rouges.
En faisant de Daniel Pearl, ce journaliste juif américain assassiné devant une caméra le 31 janvier 2002 dans les faubourgs de Karachi, le nœud gordien de son reportage, Bernard-Henri Lévy a d’abord fait œuvre de journaliste remontant aux sources, allant sur les lieux de l’enquête, examinant documents, interrogeant témoins, bref historien du présent selon les règles mêmes de la profession…
Mais en même temps, il dépasse le cadre de son enquête qui va du Pakistan à l’Afghanistan, de Dubaï aux États-Unis, pour entrer dans la peau de ses personnages, selon ce don d’empathie dont il a démontré à plusieurs reprises qu’il y était passé maître.
Les deux héros de ce drame contemporain : la victime et le bourreau : Daniel Pearl et Omar Sheikh.
On n’écrit pas un tel livre, on n’accomplit pas de si nombreuses démarches sans que la passion de l’amitié de vous tienne en éveil. Cette passion devient contagieuse au fur et à mesure que le livre et les personnages s’approfondissent. Et c’est sans doute là la réussite majeure de ces pages qui sont dédiés au fils que Daniel Pearl n’a pas eu le temps de connaître : Adam. C’est leur qualité humaine, cette présence constante de l’Autre arraché au royaume des ombres pour rejoindre le soleil des vivants.
Les faits d’abord : Daniel Pearl se trouve depuis la Noël 2001 sur la piste de Reid l’homme aux chaussures piégées de l’Airbus Paris-Miami. Et il espère par l’intermédiaire d’Omar Sheikh inspire confiance au journaliste. On connaît la suite. Il sera enlevé, égorgé et décapité devant une caméra et on retrouvera son corps découpé en dix morceaux.
À partir de là commence pour BHL la quête de l’impossible vérité, puisque pas moins de dix-sept personnes sont impliquées dans les faits. Mais ce serait mal connaître BHL que de le voir rester à la surface des faits. S’il est allé sur place, c’est pour bien vérifier ses pressentiments… et ses intuitions… D’abord le lieu du crime : « Mais ce n’est toujours pas l’atmosphère de fin du monde, l’enfer, les bas-fonds impénétrables et sordides, sur l’on nous a décrits lorsqu’il a fallu expliquer l’échec de la police pakistanaise à retrouver vivant le journaliste américain… » L’écrivain veille derrière le journaliste, beau morceau de bravoure quand il s’agit de décrire le meurtre sans ciller. Pourquoi Daniel Pearl s’est-il fourvoyé dans ce piège ? Sans doute vivait-il dans la « croyance magique en son invulnérabilité de principe ». Plus loin : « Il a toujours été de ces types qu’une chance insolente protège ». Juif de gauche, progressiste américain hostile à tout ce que l’Amérique peut avoir de bête et d’arrogant, ami des incomptés, de l’universel orphelin des déshérités, arpenteur infatigable. En face : Omar Sheikh. Né à Londres d’une riche famille d’affaires, étudiant brillant de la London School of Economics, excellent joueur d’échecs, en bref un « ennemi de l’Occident qui est un produit de l’Occident, formé à l’école des Lumières et du progrès » et qui va verser dans le fanatisme religieux en Bosnie d’abord où il se trouve en mars-avril 1993 (presque en même temps que BHL) puis dans les camps afghans où il est, non pas simple instructeur mais le fils préféré de Ben Laden !
Omar Sheikh : un agent de services pakistanais ?
Après six années passées dans les prisons indiennes à la suite d’un détournement d’avion et sa spectaculaire libération à la suite d’un autre détournement d’avion où il est l’un des trois militants échangés contre cent cinquante-cinq passagers pris en otages, il fait partie de l’un des djihadistes les plus en vue du Pakistan. Il est l’homme aux dix-sept pseudonymes, un agent de l’ISI, les services secrets pakistanais, les véritables maîtres du pays affirme BHL qui voit en lui l’homme qui fait la jonction entre une faction des services pakistanais et Al-Qaïda : « Il a donc une part de responsabilité dans la destruction des Tours ». Il est l’homme qui a sécurisé les sites web d’Al-Qaïda qui a imaginé un système sophistiqué » qui renforce la main mise d’Al-Qaïda sur le trafic d’opium afghan, il assure le lien avec les ONG saoudiennes…
Bref il incarne les liens de chair et de sang qui unissent les forcent qui dominent le Pakistan « état voyou ». Daniel Pearl est arrivé au Pakistan juste avant le début des frappes américaines en Afghanistan. Pour BHL il est mort d’avoir enquêté sur des questions essentielles : les possibles transferts de technologie nucléaire pakistanaise via Al-Qaïda. « Bref je fais le pari d’un Daniel Pearl en train de rassembler les preuves de la collusion du Pakistan avec les États voyous et les réseaux terroristes de la planète. » À dénoncer preuves à l’appui, le double jeu d’un pouvoir pakistanais, BHL se place oui dans « l’œil exact du cyclone » et laisse la question ouverte : « Qui l’emportera des fils de Massoud ou des assassins de Pearl ? »
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