Pardon, cher amis du Matin, si je suis d’humeur un peu maussade. Mais là, tout de suite, au sortir de ce colloque antiraciste qui s’est tenu à la Sorbonne, je ne me sens, il faut bien le dire, ni très fier ni très heureux.
Oh ! bien sûr, on était nombreux. On était vertueux en diable. Des choses plutôt justes ont été dites par les uns et par les autres. Mais, en même temps, quelle misère ! Quel piège épouvantable ! Quelle absurdité d’en être réduit ainsi, en cette fin de XXe siècle, à l’heure des temps dits modernes et après ce que nous savons, depuis Auschwitz au moins, de la logique de tout ça – quelle absurdité, oui, d’en être réduit encore à colloquer sur le racisme.
Il y a des problèmes politiques brûlants. Il y a des tragédies planétaires de première grandeur. Il y a des beaux livres, des films magnifiques dont il serait si bien de parler. Il y a même, allez savoir, les choses de la vie, la douceur du temps. Eh bien non ! Quand Bergé se déplace, quand Halter, Lang, Simone Veil se retrouvent, quand Jean Daniel prend l’initiative d’une rencontre d’intellectuels, c’est pour débattre d’un pauvre pitre fasciste, très banalement raciste, qui s’appelle Jean-Marie Le Pen et qui est le déshonneur de ce pays. On aura beau dire. On peut multiplier à l’infini les jolis bulletins de victoire. Notre première, notre vraie défaite est là.
Bon. Cela étant dit, il faut se battre, évidemment. Il faut répondre pied à pied. Il ne faut ni transiger ni céder un pouce de terrain à l’infamie. Et aussi lassant, aussi monotone que cela soit parfois, il faut tenter, coûte que coûte, de penser le phénomène. C’est ce que j’essaie de faire. C’est ce que faisaient, chacun à sa façon, les intellectuels de cet après-midi. Même si les vérités, une fois dites, ne sont pas toujours du goût de tout le monde. Celle-ci, par exemple, qui a, semble-t-il, jeté un léger froid : que cette ringardise raciste n’est hélas pas une greffe, un accident de la culture française – mais qu’elle fait corps avec elle et qu’elle lui est d’une certaine manière essentielle.
Ce soir, heureusement, ce sera la fête. Ce sera l’heure de la gaieté, de la positivité retrouvée. Et ce sera, avouons-le, la plus éclatante, la plus sérieuse des répliques à la folie organisée du lepénisme. Mais à SOS Racisme d’en être une fois de plus l’instigateur. Merci au Matin d’en être, une fois encore, le relais. Le Matin et SOS… SOS et Le Matin… Et s’il y avait dans cette complicité, renouée d’année en année, une autre raison, décisive, de souhaiter votre survie ? Un journal du matin antiraciste sans jamais de dérapage crypto-raciste, ce n’est pas si courant, après tout, qu’on puisse se résigner à la disparition de celui-là. À bon entendeur, salut.
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