Une ONU impuissante et complice, quatre ans durant, de 1992 à 1996, tandis que sévissait, à Sarajevo, le plus long siège de l’histoire moderne ;

une ONU qui, confrontée à l’épuration ethnique menée par les Serbes au Kosovo, laissa une alliance militaire, l’Otan, faire le travail à sa place et, en 1999, arrêter enfin le massacre ;

une ONU qui, face au million de morts du génocide des Tutsis au Rwanda, demeura étrangement passive, diminua ses effectifs de maintien de la paix quand il fallait les augmenter, ne les augmenta que pour exfiltrer, in fine, les responsables de la boucherie – une ONU où l’on poussa l’absurdité, ou le cynisme, ou les deux, jusqu’à tolérer que, par le jeu des rotations régionales permettant le renouvellement des membres non permanents du Conseil de sécurité, l’État du Rwanda siège au Conseil pendant toute la durée des tueries dont il était le responsable ;

une ONU qui passa aux pertes et profits de l’Histoire les millions de morts cumulés du Timor oriental, du Darfour, de la Somalie et de ses terres de sang, des conflits oubliés de l’Angola, du Burundi, du Sri Lanka, du Soudan, j’en passe, car je m’en tiens aux guerres que je connais pour les avoir personnellement couvertes ;

une ONU où l’on vient, ces jours-ci, à l’unanimité, et pour une durée de deux ans, d’élire à la présidence de la Commission pour les droits des femmes une Arabie saoudite dont les timides réformes en la matière n’en ont pas encore fait un parangon du féminisme ;

une ONU où c’est la République islamique d’Iran, parvenue à l’avant-dernière marche de son escalade vers le nucléaire et du chantage qui va avec, qui se voit confier la présidence de la Conférence sur le désarmement s’achevant fin mai ;

une ONU où la Chine, championne du monde de la biopolitique et de la société de contrôle, incarnation du système totalitaire le plus sophistiqué de la planète et occupée, pour l’heure, à génocider ses musulmans ouïgours et ce qui reste, dans les frontières de son empire, du peuple tibétain – une ONU où cette Chine-là entre en majesté au Conseil des droits de l’homme où l’ont précédée ces autres verts paradis de la démocratie que sont le Pakistan, l’Ouzbékistan, Cuba ;

une ONU dont le Conseil de sécurité n’a rien pu faire, depuis deux ans, pour arrêter la guerre d’agression contre l’Ukraine – et pour cause ! la Russie y dispose d’un droit de veto, lui-même lié à un siège de membre permanent dont j’ai montré, ici même, qu’il est dépourvu de base légale !

une ONU qui, quand les « Einsatzgruppen » du Hamas envahissent Israël et y commettent le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah, laisse la vice-présidente de sa commission chargée des droits des femmes, Sarah Douglas, poser devant un drapeau palestinien et relayer 153 tweets hostiles à l’État hébreu ; ne sanctionne pas ceux des employés de son agence pour les réfugiés palestiniens, l’Unrwa, qui qualifient le pogrom de « spectacle splendide », d’« inoubliable et glorieux matin » ou de « première vraie victoire » sur la voie de la « libération » ; et, dans le meilleur des cas, celui d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’organisation, commence par condamner « l’occupation suffocante » subie « depuis cinquante-six ans » par le peuple de Gaza ;

une ONU qui, enfin, lorsque les Israéliens ripostent, reprend les éléments de langage du Hamas pour fustiger une armée jugée coupable, alors même qu’elle facilite le passage des camions, en nombre grandissant, d’aide alimentaire, de créer une famine (Guterres encore, tweet, 31 mars) et de perpétrer, non pas un, mais plusieurs « actes de génocide » (Francesca Albanese, rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, dans un document, publié cette semaine, où elle s’abstient de juger les crimes du Hamas car ils ne relèveraient pas, écrit-elle, du « champ géographique » de son « mandat ») ;

et une ONU qui, soit dit en passant, fut dirigée, dans les années 1970 et 1980, par un ancien officier SS, Kurt Waldheim, mêlé à la déportation vers Auschwitz de 48533 Juifs de Salonique et de nouveau à la manœuvre quand une autre agence, l’Unesco, qualifie d’« État raciste » l’État refuge des survivants de la Shoah ;

cette ONU-là est un échec ;

c’est une belle idée qui a fait faillite ;

c’est un Machin qui, en donnant la même autorité politique à la Corée du Nord ou à la Syrie et à un État balte ou nordique, est devenu aussi impotent et, au fond, malfaisant que le fut la Société des nations dans les années qui menèrent à l’hitlérisme, puis à la guerre ;

à partir de quoi, il y a deux voies : refonder l’organisation du sol au plafond en repensant les procédures qui mènent à tant de situations ubuesques et révoltantes ou prendre acte de cet état de « mort cérébrale » pour imaginer autre chose – pourquoi pas un Parlement mondial des peuples libres qui, face à la nouvelle guerre opposant l’« empire » (l’Occident, les démocraties et ceux qui, sur les deux tiers de la planète, vivent sous la botte mais se réclament des principes des Lumières) et les « cinq rois » (Russie, Chine, Turquie néo-ottomane, nostalgiques du Califat sunnite, Iran), reprendrait le noble programme du cosmopolitisme kantien mais se donnerait les moyens, cette fois, de le mettre en œuvre ? j’y reviendrai.


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