Bernard-Henri Lévy a titré sa série Les Aventures de la Liberté. Un titre, déjà utilisé, aurait bien convenu aussi : « L’Utopie meurtrière ». Car si un siècle a montré que l’enfer était pavé de bonnes intentions, c’est bien le nôtre.

Un siècle qui, selon BHL, avait commencé en 1894, avec l’Affaire Dreyfus. Des écrivains et artistes prennent publiquement position dans le débat : coupable ou non coupable, et l’auteur y voit « la naissance des intellectuels ». Pour le meilleur et pour le pire… Ou comment, à travers ces penseurs, purs ou intéressés, victimes ou complices, le rêve de liberté, égalité, fraternité, hérité de la Révolution française, tourne au cauchemar. Avec la figure symbolique d’un Sartre, qui s’engage pour la bonne cause et se trompe presque infailliblement.

Aberrations

Et c’est bien la question de la série : comment des gens intelligents, cultivés, pleins de nobles sentiments, peuvent-ils se mettre au service des bourreaux de l’histoire, Staline, Mussolini ou Hitler ? Ce n’est pas un hasard si tous ces tyrans se présentent d’abord comme des libérateurs. Tous déclarent vouloir (comme le christianisme jadis…) créer l’homme nouveau. Mais il faut d’abord tuer l’homme réel.

BHL ne manque pas de mettre en parallèle communisme et fascisme, dont l’affrontement a dévoré le siècle : « Le fascisme est d’abord un ébranlement révolutionnaire qui, à tort ou à raison, apparaît à certains comme la suite de ce qui s’est passé à Moscou en octobre 1917. » Ici et là, une même griserie populaire, la même célébration des forces élémentaires et de la jeunesse. Et les intellectuels dans tout ça ?

Il semblerait que le savoir et les atouts de l’intelligence ne protègent pas des aberrations de l’esprit, bien au contraire. BHL s’attarde sur le cas de l’écrivain Robert Brasillach, être fin et sensible à l’allure de rond-de-cuir, qui sort de ses salons et de ses bibliothèques pour découvrir avec extase la grande communion populaire des foules nazies. Et lui, l’homme malingre manieur de papier, s’exalte à partager la sueur et les rêves du peuple. Il écrira des horreurs immondes… De l’autre côté, combien, comme Aragon, pour s’accommoder des horreurs staliniennes…

Tableau tragique, sans doute, mais il est vrai aussi que tous les intellectuels n’ont pas failli. Seulement, dans les orages de l’histoire, les voix de la lucidité parlent tout bas. Saurons-nous, aujourd’hui « dégrisés », tendre enfin l’oreille ?


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