Kharkiv va-t-elle tomber ? C’est bien que la presse se réintéresse à l’Ukraine blessée, souffrante et de plus en plus oubliée. Mais les commentateurs me semblent, en la circonstance, exagérément alarmistes. J’interroge à distance des camarades rencontrés il y a quelques mois, quand je filmais L’Ukraine au cœur, et demeurés dans leurs tranchées. Les combats, disent-ils, sont durs. Les Russes, c’est vrai, réoccupent des villages voisins qu’avaient, en septembre 2022, au moment de leur offensive sur Izioum, repris les forces ukrainiennes. Et c’est une pluie de drones kamikazes, de roquettes Grad et de bombes planantes lâchées depuis les airs qui tombe sur la route allant vers la frontière russe puis, de là, à Belgorod. Mais la ville tient. Le moral des défenseurs est meilleur que celui des assaillants, certes plus nombreux, mais parfaitement démotivés et peinant toujours à reprendre, plus au sud, près de Bakhmout, la ville minuscule, et en ruine, de Chasiv Yar. Que les alliés tiennent leurs engagements. Qu’ils honorent, non seulement leurs valeurs, mais leurs intérêts nationaux tels que les a compris, en n’excluant pas l’envoi de troupes au sol, le président français Macron. Et que les 61 milliards d’aide militaire votée par le Congrès américain arrivent à destination. Alors se produira ce que j’avance, ici, depuis deux ans et que seuls nos atermoiements retardent : l’Ukraine résistante, l’Ukraine solitaire, l’Ukraine qui se bat le dos au mur avec des armes livrées au compte-gouttes et toujours à contretemps, finira par l’emporter. C’est la logique. C’est, depuis la nuit des temps, la loi des guerres patriotiques où des armées d’hommes libres et de soldats-citoyens affrontent des soudards.
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L’Azerbaïdjan à la manœuvre, contre la France, dans les émeutes en Nouvelle-Calédonie ? L’on aurait tort, naturellement, de réduire ceci à cela. Mais le fait est. Il semble incontestable. Et la nouvelle n’étonnera que les étourdis n’ayant toujours pas compris les lois d’airain qui président, par temps d’orage, aux relations entre nations. Surdétermination structurale, disent les modernes… Guerre civile mondiale, disaient, dans les années 1930 du XXe siècle, leurs aînés de l’âge surréaliste… Et encore, avant cela, cette sage recommandation des anciens Grecs inventant la géopolitique : penser la politique du monde comme s’il était une seule cité… Ainsi raisonnent, en tout cas, les satrapes au pouvoir à Bakou. Ainsi calculent, à l’échelon supérieur, leurs maîtres en stratégie qui opèrent depuis Moscou, Téhéran ou Pékin et nous voient, nous, Français, presque à l’égal des Américains, comme d’irréductibles adversaires. Vous avez soutenu les Arméniens ? Vous avez chanté, sur l’air de la liberté, avec les mutins du Haut-Karabakh en lutte contre l’impérialisme ottoman ? Eh bien dansez maintenant. Mais sur le volcan de vos contradictions, au milieu des confettis de votre empire défunt. Vous serez combattus en Ukraine. Chassés méthodiquement d’Afrique. Les maîtres du Kremlin fomenteront, à Paris même, des troubles, des séditions, des incidents antisémites en nombre grandissant. Bref, aucun théâtre d’opérations, absolument aucun, ne nous sera étranger dans la guerre de basse intensité mais de longue durée que nous vous avons déclarée. Et vive l’indépendantisme kanak si l’on peut, en soufflant sur ses braises, rallumer les bûchers sur lesquels doit se consumer une certaine idée de la France. Cela aussi est dans l’ordre.
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À quoi sert un intellectuel ? Que veut-on vraiment quand on ne veut que la vérité ? Peut-on être fidèle à son origine sans en devenir l’otage ? Qu’est-ce qu’apprendre ? Transmettre ? À quel prix sauvera-t-on l’école républicaine ? Comment la même femme a-t-elle pu être, à la fois, l’élève de l’austère Georges Canguilhem et de l’artiste Vladimir Jankélévitch ? Peut-on être drogué à l’archive ? Tomber sous le charme d’un livre comme sous celui d’un humain et, si oui, combien de fois dans une même vie ? Est-ce être insensible que de ne pas s’épancher ? Un être-pour-la-séduction peut-il ne pas se soucier, du tout, des apparences ? Faut-il choisir entre gourou et pythie ? Un scandale et une cabale ? Les bacs à sable des jardins du Luxembourg et les machines à fabriquer des « enfants transgenres » ? Quoi de commun entre le féminisme d’aujourd’hui, La Cause des femmes de Gisèle Halimi, Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir ? Mme Lepaute et Mme du Châtelet furent-elles sœurs en esprit ? Telles sont quelques-unes des questions surgies du joli Merci Élisabeth Badinter que publie Sophie Sachnine aux Éditions de l’Observatoire. Je me souviens d’avoir croisé, en 1969, sur un banc de la Sorbonne, celle qui s’appelait encore Élisabeth Bleustein et je la retrouve soudain, dans ce livre-portrait, telle qu’elle apparaissait, en ce temps-là, dans la splendeur de ses promesses. Télescopage des époques. Écrasement de toutes les durées. Je ne sais, dès lors, ce qu’il faut louer : la fidélité à soi d’une femme d’exception ou celle de la portraitiste à son modèle. Émotion.
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