C’est à peu près au moment où l’Américain Fukuyama annonçait la « fin de l’Histoire » que l’Histoire rentrait en Europe d’où elle avait paru absente depuis 1945. Et c’est le mois même où l’on célébrait la fin de la guerre froide qu’une nouvelle guerre éclatait. Une guerre en Orient ? Beaucoup plus que cela : un mélange de conflit Nord-Sud et d’affrontement Est-Ouest dans lequel l’Amérique joue son crédit et la Russie perd ce qui lui reste de puissance extérieure.

Mais aussi une guerre qui met fin à la « culpabilité », à la « mauvaise conscience » entretenues en Occident depuis quarante ans, où la démocratie devient synonyme d’énergie et de résolution, une guerre qui rend légitimes l’appel télévisé du chef de l’État à la patrie comme la solidarité de la nation avec son armée.

Et, bizarrement, cette guerre que l’on conduit au nom de la morale et du droit n’est accompagnée que par un désert de la « pensée », le quasi-silence des « intellectuels », hormis les éternels signataires des mêmes manifestes.

Serait-ce parce que la guerre idéologique, cette guerre civile française, aurait pris fin ? La Révolution française est terminée, proclamaient, à l’issue des fêtes du Bicentenaire, les auteurs de la République du centre.

Illusion, écrit Alain Minc, dans son dernier essai La Vengeance des nations (Grasset). Certes, « la politique traditionnelle a perdu ses repères ; la gestion pris le pas sur l’idéologie ; la droite et la gauche sont réduites à l’état de fidélités et de nostalgies ». Mais, pour autant, la droite et la gauche ont-elles perdu leurs identité, leurs références ? Et quels sont désormais leurs systèmes de valeurs ?

« Les maîtres de ma jeunesse »

Le retour de l’Histoire a pris une étape d’avance sur celui des idées.

Bernard-Henri Lévy s’est lancé dans sa propre enquête, cette semaine, en donnant à la fois un livre et une série de quatre émissions de télévision (Les Aventures de la liberté, Grasset).

Un voyage à travers les monuments de la pensée française de ce siècle, églises fermées ou églises en ruines. De la référence Barrès au naufrage de Sartre parmi les boat-people qu’il jeta à la mer, de l’aventure de Malraux aux paradoxes de Drieu, des cafés surréalistes aux classes de l’École normale.

Les systèmes de valeurs sont aussi des filiations, des lignages, des familles. Et cela réserve bien des surprises sur ce que l’on pourrait appeler la droite ou la gauche de convention.

Un seul exemple : dans son Journal (Elie et Phaëton, La Table ronde), Gabriel Matzneff cite François Mitterrand, chez qui il déjeune, au mois d’octobre 1972 (l’année du programme commun) quand Montherlant vient de mourir ; François Mitterrand dit : « Montherlant, Drieu La Rochelle, les maîtres de ma jeunesse sont morts ! ».

Quelle trace ces maîtres-là et leurs contemporains laissent-ils encore ? Quelle est leur postérité, que reste-t-il de leur influence ? Et que diront demain les hommes politiques qui ont aujourd’hui quarante ou cinquante ans ? Quels auront été les maîtres de leur jeunesse ?

Au cours des prochaines semaines, Valeurs Actuelles va donc refaire le chemin, cherchant des repères et questionnant des témoins de ce procès des « intellectuels », pour tenter de remettre les idées à l’endroit.


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