« De Kigali à la Russie, de la Bosnie martyre à l’Algérie en convulsions, une même tentation vertigineuse : l’Intégrisme comme volonté de pureté » (p.80). Une pureté dangereuse car tout extrémisme tendant à la recherche, par tout moyen, de ce qu’il croit idéal ne peut être que dangereux par ce qu’il sème comme désarroi, peur, mort.

Et pendant ce temps, la vieille Europe repue mais aigrie se lamente sur son devenir et part, sans le vouloir, elle aussi, à la recherche de cette pureté dangereuse.

Livre né à Sarajevo en décembre 93, publié en 1994, mais il « aurait pu naitre à Alger, où se fomentaient des crimes qui allaient dans le sens du même assombrissement » (p.9) ou dans d’autres pays cités par l’auteur, Bernard-Henri Lévy. Pays qui connaissent des mutations mal maitrisées, convulsionnées par des soubresauts sporadiques qui dérangent l’ordre établi en apparence dans, ce que fon appelle communément, les démocraties occidentales.

Et l’auteur de chercher « un analogue de ce malaise » qu’il trouve dans la République de Weimar.

Le communisme qui irritait d’abord et risquait ensuite de remettre en question les Esprits des lumières fut cet os au travers de la gorge des puissances enrichies par expropriation des autres pays. On a dansé un certain jour de novembre 89, le 9 exactement, quand on a pensé achever le communisme en détruisant le mur de Berlin. Dès lors, le prolétaire annonciateur du « Monde nouveau » s’est confondu avec le dissident, auparavant auréolé Les deux se confondent dans les mêmes problèmes et sont confrontés aux concepts nouveaux pour eux : économie de marché, chômage, rejet, xénophobie…

Les porteurs du « ressourcement du monde ancien » (les dissidents) ne font plus la Une des journaux puisqu’ils ont voulu rejoindre la tribu.

L’image de l’autre Europe reste un miroir aux alouettes. Pour les révolutions des pays de l’Est, l’auteur affirme qu’elles sont « les premières de l’histoire à déception incorporée. Ce sont les premières à vivre ensemble les deux temps : celui de l’illusion lyrique et celui de la désillusion » (p.21). Juste après, l’auteur ajoute que cet évènement tant attendu n’est en fin de compte qu’un « gigantesque malentendu, une duperie à l’échelle de l’Europe et l’histoire ». Déjà placer sur un pied d’égalité, l’Europe et l’histoire et faire fi des autres continents, constitue un parti pris et semble être d’un égocentrisme et d’un nombrilisme notoires.

Bernard-Henri Lévy, philosophe soixante-huitard, anti-communiste, s’aventure légèrement – porteur lui-même ou sujet d’une idéologie – à avancer des circonstances atténuantes pour ces nouvelles démocraties assoiffées de liberté mais non préparées à ce que le vent d’Ouest a apporté avec lui : FMI, Banque mondiale et tous les accessoires d’accompagnement.

C’est surtout cela la désillusion. Dans ce cas, plutôt l’illusion. Banalisé, quand il n’y a rien de sensationnel à servir chaud grâce aux nouvelles technologies de la communication, l’Évènement devient un Non-Évènement (ou non-ingérence, c’est selon) et il est alors marginalisé : La guerre en Bosnie, la faim en Somalie, le génocide ethnique au Rwanda, la violence en Algérie. Ce sont les cas retenus par l’auteur qui accuse l’Occident de « ne voir dans ces conflits nouveaux que de vagues affaires indigènes à la frontière reculée de l’empire du Bien ; à la lettre, des combats d’arrière-garde, au sens propre, des guerres de lisière, en aucun cas des ébranlements mettant en péril l’ordre mondial » (p.45).

Reprenant les cas de ces pays, l’auteur tente d’identifier les mobiles – et non de justifier – qui entraînent certains à la recherche de ce qu’ils croient être la pureté. Mais, ajoute Bernard-Henri Lévy, une pureté dangereuse avec ce qu’elle sème comme violence sur son chemin. Concernant l’Algérie, les points développés tournent autour de la réappropriation de la langue comme instrument légitime pour retrouver la voie juste. Trop philosophique, sa thèse ne tient pas la route du fait même de sa méconnaissance de la réalité. Les cinq points soulevés, qui ne forment en fait qu’un, tournent autour de la présence sur place de deux types de référents culturels.

Finalement, pour l’auteur, l’intégrisme ou « obsession de la pureté » tend vers un extrémisme dangereux mais il n’y apporte pas une argumentation historique à ce fait de société qui embrase en même temps, tant de pays différents sociologiquement et historiquement.

La chute du communisme a-t-elle livré ces pays à eux-mêmes, se retrouvant du jour au lendemain, sans socle pour asseoir leurs nouvelles voies ? Et à chacun de s’accrocher à ce qu’il a plus près. L’auteur s’interroge : « faut-il écrire ainsi l’Histoire : l’intégrisme a pris la suite, le relais du communisme ? » (p.81). Un peu hésitant, l’auteur pense que le communisme était déjà un extrémisme et qu’il n’est donc pas mort mais, simplement transformé pour se placer dans le XXIe siècle.

Revenant à l’Europe, il se pose une question. Une mauvaise question. L’Europe est-elle capable de se défendre contre cas intégrismes qui fleurissent partout ? Jugez-en.

« La question que je pose – que nous nous posons tous – est, dès lors, celle-ci : sommes-nous en mesure de riposter ? Le pouvons-nous ? Dans quel état de santé morale, idéologique, spirituelle, nous trouvons-nous ? Sommes-nous armés, en d’autres termes, pour relever le nouveau défi que nous lancent ces intégrismes ? » (p.133).

Cette peur de l’autre constitue un aveu des démocraties quant à leur responsabilité dans la transformation sauvage, la déstructuration vorace qu’elles ont opérées depuis la colonisation à nos jours où elles détiennent les mécanismes de l’économie mondiale et les rênes du commerce international.

Dérangée dans son confort, l’Europe se recroqueville. L’Europe a peur. Pour se faire bonne conscience, on lance des aides humanitaires par tonnes et par convois pendant que les groupes d’intérêts et les banques continuent à faire saigner des pays pour lesquels le mal est déjà fait. On trouve des arguties, « une sorte de garrot, destiné à stopper à tout prix l’hémorragie ».

Ces parades consistent à trouver un nouveau vocabulaire pour exorciser le mal sinon à le rendre moins farouche d’une part, et réveiller les vieux démons de l’Europe par ce qui lui reste comme mémoire, comme nationalisme, comme populisme. Le résultat est déjà visible en Italie avec le retour aux commandes du pouvoir de l’Alliance nationale. Un autre extrémisme. Une autre forme de pureté dangereuse qui n’en est pas moins un intégrisme.

Bien documenté sur certaines questions (Bosnie, Rwanda), avec des références à une multitude de penseurs et de théoriciens, le livre de Bernard-Henri Lévy méritait cette note de lecture, par la problématique nouvelle qu’il pose : l’émergence d’un autre système de pensée et de valeurs qui inquiète l’Europe incapable de s’assurer pleinement et sereinement.


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