Il y a des auteurs trop largement précédés par la réputation de leur image. Une image si bien définie par la machine médiatique qu’elle finit par masquer la pensée, la valeur, la vertu authentique de leur auteur. C’est le cas de Bernard-Henri Lévy dont le dernier livre est à situer aux antipodes de sa réputation de polémiste mondain dont le parisianisme désinvolte agace plus d’un. Lévy vient en effet de signer La Pureté dangereuse !, son ouvrage sans doute le plus élaboré depuis Le Testament de Dieu. Un livre de combat certes. Mais c’est celui d’un intellectuel dont l’engagement est venu se hisser cette fois-ci au niveau d’une solide exigence de pensée. Sur un sujet grave.
Ce sujet, c’est l’internationale intégriste. BHL, éloquent, en déploie les ramifications sur le monde. L’intégrisme, c’est la menace majeure qui plane sur nos têtes. L’intégrisme, c’est la matrice d’une nouvelle manière de penser, celle du postcommunisme. L’intégrisme, c’est le dénominateur commun aux événements qui déchirent les peuples de Bosnie, du Rwanda, de l’Algérie. C’est l’inquiétant défi que l’islam fondamentaliste brandit contre l’Occident. En un mot, c’est le nouveau péril, d’autant plus sournois qu’il se présente comme une volonté de pureté et que nos démocraties n’en ont pas encore identifié la malignité contagieuse.
Nous y avons cru
L’intégrisme serait-il donc ce fil conducteur qui orchestre en sous-main la trame de cette fin de siècle ? BHL en fait le pari audacieux. Voici pourquoi.
Nous pensions en avoir fini avec le communisme et son cortège d’attributs totalitaires. Nous pensions la paix acquise. Nous pensions pouvoir enfin saluer l’aube d’un monde délivré de son partage en deux blocs ennemis. Nous pensions facile le triomphe de nos démocraties et enfin aisée l’éradication des sources de guerres. Or que voyons-nous ? Tout le contraire. À l’est, un empire disloqué, en proie aux pires difficultés ethniques et économiques, au règne de la mafia, à la montée des nationalismes. En Bosnie, l’intolérable scandale d’une guerre qui pourrit sur place. Au Rwanda, un génocide massif, le plus brutal, le plus sanglant et le plus rapide de ce siècle après celui du Cambodge. En Algérie, le terrorisme érigé en norme, au nom du Coran.
Déceler le microbe
Pour Lévy, c’est là le signe d’une catalyse en cours où se précipitent les vieux et les nouveaux démons mélangés : nationalisme, fascisme, racisme, antisémitisme, xénophobie, populisme. Tous, à leur manière, menacent nos démocraties. Et tous s’alimentent au même poison, l’intégrisme. Car tous ont en commun une même volonté de pureté. Pureté. Purification. L’intégrisme, c’est d’abord une obsession de la pureté. Cette idée qu’à l’origine, la communauté humaine est bonne, sainte, immaculée. Mais voilà. Le mal est arrivé et il a détruit cette harmonie. Alors dit l’intégriste, il faut déceler le microbe, identifier le bacille qui corrompt. Et il faut le tuer. Ce n’est pas seulement permis, c’est nécessaire. Et ainsi, on rétablira le bien, la bonne origine, le bon peuple, la bonne idéologie. La bonne idéologie selon Hitler, c’était le national-socialisme ; l’éden, c’était la race aryenne ; le bacille corrupteur, c’était le juif.
Un souffle persuasif
Au Rwanda, le bacille, c’est le Tutsi. Dans la Bosnie de Karadzic, le microbe c’est le Croate, c’est surtout le musulman. La guerre n’est pas seulement licite, elle est nécessaire. Puisqu’il faut tuer le microbe. En Algérie, en Iran, partout où le fondamentalisme islamiste prend racine, même schéma : le microbe, c’est l’Occident, avec son cortège de libertés nuisibles et d’émancipations impures. Il faut, là encore, tuer le microbe. Mort donc à Rushdie, à Nasreen. Mort aux intellectuels algériens. Maudites soient les femmes impudiques au visage dévoilé. Retour à la lettre du Coran : la guerre sainte est un devoir. C’est la charia qui le veut.
Cette thèse n’a pas seulement pour elle la force du constat. Ce qui en fonde l’impact et la dramatique vérité, c’est une lecture rigoureuse des événements auxquels nous assistons, impuissants, depuis 1989. Mais c’est aussi l’engagement de BHL qui, en Bosnie précisément, a payé de sa personne. Et son témoignage – qui n’est pas sans rappeler celui de Malraux – donne à ce livre cette dimension unique et reconnaissable entre toutes de celui que l’épreuve a trempé.
Il y a dans ces pages un souffle qui sait persuader sans faiblir. Un enchainement qui, sans rien sacrifier aux facilités du plaidoyer ni aux effets gratuits de style, répond aux exigences d’une argumentation toujours serrée. Si l’on excepte ici ou là quelques globalisations discutables ou quelques emportements qui feront le bonheur des détracteurs systématiques de l’auteur, il y a incontestablement dans cet essai la meilleure leçon de philosophie politique qu’on puisse souhaiter méditer en ce temps ou nos démocraties d’Europe sont visiblement essoufflées. L’intégrisme n’est pas qu’une flambée passagère. Il pourrait bien représenter, au XXIe siècle, le fléau le plus meurtrier pour nos démocraties et nos libertés.
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