« Que nul n’entre ici, disait Baudelaire, s’il ne croit pas au Péché originel. C’est pour cela que j’aime Baudelaire. Que nul n’entre ici, répondait Hugo, s’il ne croit pas au Progrès infini de l’espèce. Et c’est pour cela que, dans son débat avec Baudelaire, j’ai pris, une fois pour toutes, parti contre Hugo », écrit Bernard-Henri Lévy dans La pureté dangereuse. Avec Baudelaire et contre Hugo, il prétend qu’il y a dans l’être humain une part de Mal qui est son lot et le sera jusqu’à la fin. Il ne convient certes pas de l’aimer, mais de l’accepter car, dit-il, la volonté de pureté, parfois « la plus haute des passions et la plus insoupçonnable », devient, si on veut l’appliquer à la collectivité, dangereuse et meurtrière. Et tout le livre fait la démonstration, intéressante, de ce que la volonté de pureté doit être comprise comme une catégorie de l’entendement de la vie politique moderne.
Le dernier essai de Bernard-Henri Lévy est certainement l’un de ses livres les plus intéressants, les plus maîtrisés. Le philosophe le situe dans la droite ligne de son roman, Les derniers jours de Charles Baudelaire, où il évoquait déjà « la folie de pureté » et, d’ailleurs, dans la droite ligne de toute son œuvre : « Cette passion ambiguë, cette flamme indécise dont je m’avise qu’elle aura finalement été, depuis La Barbarie à visage humain, mon souci le plus constant et que je retrouve, à nouveau, ici, de Moscou à Alger et de la Bosnie au Rwanda, dans ces lieux où l’Histoire revient alors qu’on la pensait finie ».
Intégrisme versus populisme
Car le livre est né de l’actualité immédiate, de la volonté de n’être pas passif ou indifférent devant ce qui se passe dans le monde, mais de les « penser » et de contribuer ainsi à les prendre en charge, à les faire changer. « Je crois qu’il est temps. Encore temps. Pour peu que l’on consente, aussi, à se soustraire à l’urgence, à faire halte – et penser le tumulte », écrit Bernard-Henri Lévy en avant-propos de son livre. Et c’est l’exercice auquel il se livre lui-même au départ de ce qui s’est passé au Rwanda, de ce qui s’est passé en Bosnie, deux lieux où l’horreur frappe, où les sociétés démocratiques révèlent une effrayante impuissance et où l’humanitaire est envoyé en tête de pont pour pallier les carences du politique…
Tout commence, en effet, avec le malaise des sociétés démocratiques qui pensaient, avec l’effondrement du communisme, être arrivées à la fin de l’Histoire. Et qui, s’apercevant qu’il n’en est rien, sombrent dans le désarroi. Laissant le champ libre aux défenseurs de l’idée de pureté absolue qui apportent, disent-ils, des solutions claires et nettes. Des solutions qui sont en fait, l’une et l’autre, des déclencheurs de catastrophe, car « Maximum de pureté, maximum de barbarie. Pureté absolue, génocide quasi absolu ». C’est ainsi qu’il y eut, au long de l’Histoire, les déviances du catholicisme, celles du judaïsme, celles de la Révolution française, celles du nazisme et celles du communisme. C’est ainsi qu’il y a aujourd’hui l’intégrisme et le populisme.
Commémoration ou autocélébration ?
L’intégrisme, aujourd’hui, relève la tête dans différentes religions. Et c’est dans la religion islamiste qu’il se trouve le plus dangereux, car c’est là qu’il est le plus lié au pouvoir. Le populisme, dont Bernard-Henri Lévy dit qu’il est l’intégrisme des démocraties, relève la tête un peu partout en Europe. Intégrisme et populisme fonctionnent sur des mécanismes communs. D’abord, se créer un ennemi, « l’autre, le différent » donc le non-musulman ou le musulman selon les cas, l’immigré, le délinquant. Puis, se refaire une mémoire. Bernard-Henri Lévy écrit des pages très intéressantes sur les fonctions de la commémoration qui devrait servir à rappeler les souffrances des victimes ou les hauts faits de ceux qui peuvent servir d’exemples. Or, en ce moment, elle tourne comme une machine folle et sert surtout, dit-il, a une autocélébration dérisoire. Enfin, se replier sur le nationalisme.
Face au populisme, à l’intégrisme, que faire ? Car ce sont des tendances lourdes de notre société. Et ils sont contagieux ! Que faire, donc ? « La question n’est pas neuve. Elle se pose, ou devrait se poser, depuis qu’il y a des intégrismes et, face à eux, des démocraties », écrit Bernard-Henri Lévy. Le philosophe répond par l’affirmation de la nécessité de penser. « Ces notes – à peine des thèses – délibérément prudentes, presque humbles, qui ne peuvent être, pour le moment, que le négatif, ou le contrepoint, de ces mauvais objets qu’étaient les principes de l’intégrisme ; je les livre à la discussion ; à d’autres de les reprendre et, j’espère, de les développer », conclut-il. Car il croit que la discussion doit être permanente, vive, passionnée mais argumentée, si l’on ne veut pas que la violence s’installe : « La démocratie suppose le conflit, affirme-t-il. On croit que la désunion est une division, c’est un ciment. Si l’affrontement des idées est vif, il ne ressort pas dans la rue », affirme-t-il. « Il faut aussi, selon lui, renouer avec le tragique » et, surtout, faire le deuil de La vérité. Bref, lutter encore et toujours contre le dédain de la pensée.
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