Il a déjà pris à partie le marxisme (La Barbarie à visage humain), le Nouveau Testament et la Bible (Le Testament de Dieu), l’antisémitisme latent de la culture française (L’Idéologie française), la fascination des intellectuels parisiens pour les pouvoirs totalitaires (Les Aventures de la liberté)… Il a milité pour Lech Walesa, pour Salman Rushdie, pour Taslima Nasreen, pour la Bosnie… Il a aussi appelé à la guerre contre l’Irak et au combat contre l’Armée rouge en Afghanistan… Bernard-Henri Lévy est en croisade permanente. C’est le symbole de l’activisme médiatique. Là où Malraux faisait décoller les Potez de l’escadrille España, lui atterrit dans les salles de cinéma et les journaux de 20 heures. Mais tant d’agitation ne prive pas son regard d’acuité. Dans son dernier livre, La Pureté dangereuse (éd. Grasset), il explique comment l’obsession de la pureté peut engendrer le mal sous toutes ses formes modernes. Au-delà d’une certaine effervescence verbale, il expose clairement les vraies menaces qui pèsent sur nos sociétés et sur le XXIe siècle. Paris Match a rencontré cette star qui, comme BB, JJSS ou PPDA, est entrée dans le Jockey-club de l’ère médiatique : la secte à initiales.

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Il y a du clerc, au sens d’« intellectuel engagé » où l’entendait Julien Benda, chez ce pourfendeur. De l’imprécateur aussi par le procès sans concession qu’il fait à nos démocraties. Du prédicant, comme on l’entendait au XVIIe siècle, à lire son dernier livre, La Pureté dangereuse : un cri de colère contre l’apathie, l’anémie de nos sociétés occidentales. Il proclame : « L’Histoire revient. Les périls montent. » Façon de crier au secours. Du clerc, il a les mœurs vestimentaires, trônant, chemise ouverte, crinière de jais, dans son bureau tapissé de chêne cérusé, absorbant tasse de thé sur tasse de thé, entre deux coups de téléphone, avec son éternelle livrée blanc et noir, couleurs des dominicains, jadis inquisiteurs redoutables. Imprécateur, ah ça, oui ! À l’instar des prophètes de l’Ancien Testament, tel que Michée qui dénonce l’injustice, Nahum qui invective Ninive, Amos qui prédit le châtiment de Dieu sur l’infidèle Israël, et surtout Jérémie, chantre des fameuses lamentations prédisant la destruction de Jérusalem et la ruine du Temple par Nabuchodonosor. Comme eux, il vitupère les maux de notre monde et annonce l’apocalypse du haut de toutes les chaires médiatiques, tels Bossuet ou Bourdaloue. Pascal, un de ses penseurs favoris, l’inspire aussi et lui donne l’envie de sauter sur la plume dès qu’une polémique se profile à l’horizon. Et c’est vrai qu’il exaspère les uns par son omniprésence médiatique – « je vais là où il faut, dit-il, Je ne suis pas Mgr Gaillot.. » – et fascine les autres par son verbe au lyrisme contagieux. Devant les convulsions de l’Histoire, les persécutions, tous ces incendies en série, le pullulement des sectes, bref devant les barbaries qui enfièvrent l’an 2000, il se révolte. Le « Tout est grâce » de Bernanos, ce n’est guère pour lui.

Un révolté, lui aussi, BHL ? Il s’en défend, bien que son livre s’achève par un éloge de la révolte, accusant le monde de crever de ce qu’il appelle une « hypertrophie du oui ». Il note : « Ce monde paraît parfois si satisfait de lui-même, on y sent une telle veulerie, on y croise si peu d’hommes qui aient la simple force de dire non, ce monde est si plein de soi, que l’on est tenté d’en appeler, contre lui, à une renaissance de l’esprit de révolte. » Une colère ?

Une sainte colère. Pour lui, la crise de conscience européenne est profonde, et l’Histoire est tragique quand elle recèle des conflits insolubles. À qui la faute ? « La culpabilité, répond-il, est collective. Les démocraties n’ont jamais été pressées de se porter au secours de leurs valeurs menacées. Voyez le génocide arménien, la guerre civile espagnole, Munich, l’Éthiopie, les 6 millions de Juifs exterminés. Budapest 56, Berlin 61, Prague 68, la Pologne et, maintenant, la Bosnie. Chaque fois, elles ont cédé, pactisé. Deux fois seulement, elles ont choisi de faire la guerre : à Suez en 1956 et au Koweït en 1991. Mais ce sont leurs intérêts stratégiques qui, les deux fois, étaient menacés. » Rien ne mérite l’indulgence à ses yeux, car tout est relié par ce qu’il nomme le « fil rouge », qui caractérise l’intégrisme : la pureté originelle, biologique, politique que revendiquent des ayatollahs, des doctrinaires, des prophètes de toute sorte.

Le tragique, c’est son affaire. Là, il est chez lui : « Pour qu’il y ait des héros, c’est-à-dire de grands politiques, il faut qu’il y ait du tragique, c’est-à-dire de l’inconciliable. » Les barbaries de notre époque ? Elles ont, selon lui, commencé avec la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. « Pas un politique, explique-t-il, n’a parié sur cet événement et beaucoup l’ont même regretté. Ce moment de liberté a été ressenti comme une catastrophe par la plupart de nos dirigeants. Résultat concret : on démissionne en Algérie, au Rwanda, en Bosnie. Si nous n’y prenons garde, ce qui se passe là aura des répercussions ici : en France même, avec le populisme, comme en Italie. Prenons garde : ces barbaries, ces populismes ne sont pas des séquelles du passé mais une préfiguration de l’avenir. Nous ne sommes plus au XXe siècle, mais au XXIe. Le XXe s’est terminé en 1989. »

Le populisme, voilà sa bête noire. C’est, dit-il encore, « le culte béat du peuple, la maladie sénile de nos démocraties à l’heure de la nouvelle crise de la conscience européenne ». Le communisme ? « Personne n’a rien compris à sa mort. Les démocraties ont perdu cet ennemi familier qui leur permettait de tenir debout. Seuls les grands spirituels l’ont compris : un Jean-Paul II, un Soljenitsyne, des dissidents. Le communisme, c’est une hérésie du christianisme, qui prétend que le royaume de Dieu est de ce monde. C’est une barbarie, comme le nazisme. »

L’islam ? « Dans sa forme fondamentale, il veut être, dit-il, le mythe du XXIe siècle, remplaçant non seulement le communisme mais aussi, encore plus fort, le catholicisme et le judaïsme. »

L’intégrisme ? « Une obsession de pureté qui, avant de sortir les fusils, en Algérie, par exemple, commence par interdire le rire, le port de la cravate, les applaudissements dans les meetings ou le serrement de mains, au motif que ce sont des gestes occidentaux, donc toxiques, impurs toujours. Il n’y a que les intégristes pour croire qu’il y ait dans l’Histoire des peuples sains, purs, innocents. De Savonarole à Milosevic, de Saint-Just aux mollahs iraniens, la pureté est toujours la matrice du meurtre. Notre chance, c’est que les juifs et les catholiques sont vaccinés contre l’intégrisme. Ils ont eu leur dose avec les guerres de Religion et l’Inquisition. L’Islam est en train de vivre cette épreuve. Il en est à l’époque de l’inquisition. Le corps à corps va être acharné. Notre rôle est d’aider les modérés contre les fanatiques. »

Est-ce cela, le Mal, avec un grand M ? Il répond : « Le Mal, c’est le mal originel, le péché originel. La vraie racine de tous les intégrismes c’est le refus du péché originel. Autrement dit, l’Occident, en acceptant ce fardeau, a trouvé son salut. Il fait obstacle à la paranoïa des massacres. Car nous ne croyons pas à une possible pureté du monde. Cette acceptation se mettra toujours en travers de l’intégrisme. Baudelaire y voyait la source de tous les égarements modernes. “Que nul n’entre ici, disait-il, s’il ne croit pas au péché originel.” Des sociétés solides peuvent s’effondrer d’un coup, pourquoi pas la nôtre ? Ce qui se passe dans les banlieues n’est pas bon signe. » Et d’accuser nos politiques de ne pas se rendre compte qu’ils marchent sur un volcan.

Croit-il, comme Malraux, que le XXIe siècle sera spirituel, religieux, métaphysique ? « Mon livre est une thèse autour de cette question. Tous les siècles ont été religieux. Et nous, nous avons cru que nous allions entrer dans une époque d’agnosticisme. Il y a de bonnes et de mauvaises religions et ce sont les mauvaises qui parlent le plus fort. Oui, le XXIe siècle sera religieux mais il se pourrait aussi qu’il tourne à la catastrophe. »

A-t-il perdu tout espoir ? Il est convaincu que quelque chose se cherche, qui n’a pas encore de visage, mais qui ne sortira pas de rien. « La vérité, dit-il, c’est une idée qu’il faut désirer tout en sachant qu’on ne l’atteindra jamais. »


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