À quarante-neuf ans, le philosophe de La Barbarie à visage humain, le dramaturge du Jugement dernier, blessé par l’échec de son film Le Jour et la Nuit livre un autoportrait lucide dans Comédie.

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Sébastien LE FOL : Vous parlez du mauvais accueil qui a été fait à votre film Le Jour et la Nuit, Vous êtes-vous demandé s’il était aussi bon que vous le pensiez ?

Bernard-Henri LÉVY : Accueil ou pas, on ne sait jamais ce que vaut ce que l’on fait. On ne le sait que très très longtemps après. En attendant, on n’a qu’une ressource : vaille que vaille, continuer.

Vous semblez mettre en cause la critique de cinéma quand elle vous attaque…

Je l’ai fait, c’est vrai, à l’époque. Dans l’émotion, Mais j’ai eu tort. Never explain, never complain.

Mettriez-vous en cause la critique littéraire quand elle vous loue ? Car tout de même, vous êtes l’un des intellectuels les plus encensés.

Le problème, avec la « société du spectacle » – je préfère dire, moi, la « comédie » –, c’est qu’elle vous massacre et vous encense pour des raisons qui, souvent, n’ont pas grand-chose à voir avec ce que vous avez écrit. Il ne faut être dupe ni de l’un ni de l’autre. Il ne faut ni tirer fierté de la réprobation ni se sentir exagérément embarrassé par l’encensement.

Votre livre est-il pour vous l’occasion d’une autocritique, d’un plaidoyer ou d’un pamphlet ?

Tout ça à la fois, j’imagine. Avec, de surcroît, une tentative d’autoportrait que j’ai voulu aussi libre, sincère, sans complaisance que possible. Moment, classique il me semble, dans la vie d’un écrivain où on stoppe la machine. On fait arrêt sur image et sur existence. On se demande qui on est vraiment, ou on en est, etc.

Vous n’avez pas l’habitude en général des attaques. Or là vous n’y allez pas de main morte. Le Clézio, par exemple, en prend pour son grade.

Je n’ai rien – bien au contraire – contre l’œuvre de Le Clézio Je m’interroge, simplement, sur la drôle de façon qu’à l’époque de célébrer ceux que j’appelle « les grands silencieux » : ces gens qui, en gros, viennent à la télé pour dire « je déteste les médias ».

Et Régis Debray, vous n’êtes pas très tendre avec lui.

Pas du tout. Il est – malgré des désaccorde de fond – l’un des contemporains que j’admire le plus sincèrement. Cela ne m’empêche pas, néanmoins, d’être intrigué par son extraordinaire aptitude à nous donner, tous les quatre ou cinq ans, le récit de sa propre vie. Ni par la non moins étrange aptitude de cette époque – amnésique, zappeuse, frivole – à s’émouvoir, chaque fois, de la nouveauté de l’entreprise.

Vous n’êtes pas tendre non plus avec les philosophes qui vous ont succédé.

La philosophie c’est le débat. Dois-je me mettre un bœuf sur la langue sous prétexte que cette fin de siècle n’aime que le consensus et que chacun fait semblant d’être d’accord avec chacun ? Je n’ai rien à perdre. Ni rien à prouver. Donc j’écris un livre libre, où je dis ce que je pense.

« Je n’ai jamais su parler de moi », écrivez-vous. Pourquoi ?

Par pudeur, je suppose. Et, aussi, parce que j’appartiens à une tradition d’écrivains qui, parce qu’ils ont fait leur plein de jouissance – ou de souffrance – dans la vie n’éprouvent pas le besoin de vivre les choses, une seconde fois, par les livres. C’est l’histoire de Gary – une des figures centrales de mon livre – qui ne parle jamais, dans ses romans, d’aucune des aventures marquantes de son existence.

Vous avez écrit un livre qui s’intitule Le Diable en tête. N’êtes-vous pas votre propre démon ?

Si, bien sûr. Lorsqu’il m’arrive de dresser la liste de mes ennemis, je viens évidemment en tête de liste. Si je devais écrire – on me l’a proposé une fois – des

« Lettres ouvertes à ceux qui ne m’aiment pas », la dernière lettre serait pour moi.

Vos ennemis ne vont-ils pas trouver dans ce livre des arguments qui accréditent votre réputation de mégalomanie ?

Peut-être. Mais est-ce si grave ? Les procès qu’ils me font sont, la plupart du temps, si plats ! Puissent-ils trouver, dans cet exercice de lucidité, des raisons enfin sérieuses de s’en prendre à moi. Même dans la haine, je suis partisan de réduire la part du malentendu.

Votre présence médiatique ne nuit-elle pas à l’appréciation de votre œuvre ?

Évidemment. C’est un grand tort, aujourd’hui, d’être trop vu. Cela dit est-ce que ça date, vraiment, d’aujourd’hui ? Rappelez-vous Aragon… Cocteau, déplorant qu’on « envisage » les autres mais que, lui, on le « dévisage ». Malraux dont la biographie recouvrait littéralement les œuvres… Une seule solution, quand on est dans ce cas : essayer de réduire, non plus le malentendu, mais la « part de comédie ». C’est ce que, modestement, je tente de faire dans ce livre. En tordant le cou à un certain « BHL » qui ne me ressemble plus.

Est-ce que l’œuvre n’est pas plus importante que ce que l’on en dit ?

C’est plus compliqué que ça. L’œuvre, c’est aussi la somme de ses commentaires. Un livre, c’est aussi l’ensemble des malentendus, des erreurs de lecture, qu’il a suscités. Et la biographie d’un écrivain, c’est forcément tout ça à la fois : ce qu’il est dans ses livres, ce qu’il est dans la vie et ce qu’il est, aussi, sur les tréteaux… Il n’y a que le temps pour arbitrer. Ou la nausée qui, un beau matin, vous fait écrire Comédie.


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