Allez savoir pourquoi…. Serait-ce l’approche de l’an 2000 ? On dirait, parfois, que l’époque se montre propice à l’expression d’une haine poisseuse mais étrangement snobinarde. Celle des impuissants et des envieux a toujours trainé, certes, dans l’air du temps. On a toujours rencontré sur sa route la paranoïa de quelques illuminés ivres de ressentiment dont l’unique talent consistait à mariner dans le fiel. Mais, aujourd’hui, elle encombre le paysage. On y suffoque. On pourrait presque penser que la vindicte a remplacé la polémique.

Souvenez-vous des « hussards » lorsqu’ils s’en prenaient aux existentialistes. C’était l’âge d’or ! La prise à partie se nouait à hauteur d’homme. On respectait celui que, même, on brocardait. Mais, à présent, les hussards de service ne montent plus sur les toits : ils vocifèrent au deuxième sous-sol.

J’émerge, éberlué, de la lecture d’un follicule (ou plutôt : d’une diatribe, d’une mercuriale) où l’on voit un auteur de série noire s’en prendre à un de nos meilleurs journalistes d’investigation (sur la peine de mort et certains aspects du monde arabe, entre autres), à qui il reproche certaines ambiguïtés idéologiques en oubliant toutes les occurrences où le courage intellectuel et l’intégrité du personnage se sont donné l’occasion de se manifester. Le réquisitoire bascule tellement dans l’outrance qu’il en devient insignifiant. Et je prends le parti de ne pas même citer l’auteur ni le titre de son ouvrage pour ne pas tomber moi-même dans le piège de sa provocation. Je ne m’y réfère que pour évoquer le phénomène, de plus grande ampleur, qu’il illustre.C’est que la haine, lorsqu’elle atteint ce degré d’incandescence, a quelque chose d’exotique ou de désarmant. Mais tout qui pense et s’exprime s’est, au moins une fois, heurté à elle. (Comme on se fait bousculer par un fou dans la rue…) Il n’est pas que l’amour qui inspire des coups de foudre ! (La haine serait-elle considérée, elle aussi, comme un des beaux-arts ?) Jeu de l’amour et du hasard. De la haine… et du bazar !

Qui a beaucoup de fois croisé sur sa route cette violence, c’est assurément Bernard-Henri Lévy. Adopté de façon presque festive à l’aube de sa carrière, le nouveau philosophe au physique de jeune premier dut bientôt expier son inaugural succès. On devait, sans doute, lui garder rancune de sa grâce un peu crispée ou de sa quasi suicidaire aisance face aux médias… (Lui-même décrit avec beaucoup de cocasserie la faveur dans laquelle on tient, dans le public, ceux qui bafouillent ou bégaient de façon touchante devant les caméras…) On disait volontiers du talentueux mais parfois irascible champion de tennis John Mac Enroe qu’il était un homme « qu’on aimait haïr » : je me demande si, dans l’intelligentsia parisienne, BHL n’a pas, au fond exercé la même fonction symbolique. Il s’agirait de relire Totem et tabou d’un certain Freud…

Dans une ébauche de confession qu’il intitule opportunément Comédie, l’auteur de L’Idéologie française s’interroge sur sa trajectoire et les récents revers de fortune qui l’ont récemment balisée. (En particulier le « bide-bang » qui a sanctionné son film Le Jour et la Nuit et qu’une cabale a, à l’évidence, stigmatisé, quoi qu’on pense des mérites ou des défauts de l’œuvre ».

Bien entendu on fera encore grief à l’homme d’ainsi s’exhiber même s’il change de posture. Pourtant, il renonce à la double tentation du plaidoyer pro domo et de l’autocritique complaisante. (L’échec, comme le remords, a toujours été une muse irrésistible…). Et les meilleures pages du livre ne parlaient pas de lui mais du destin de Romain Gary ! (Et les moins convaincantes, à mon sens, concernent Régis Debray, qu’il décrit remodelant sans cesse ses mémoires avec la bénédiction du Tout-Paris alors que l’ex-guérillero fut, comme lui, longtemps abreuvé d’insultes par des détracteurs que n’étouffait pas la bonne foi !).

Comédie est un de ces textes de transition que l’on conçoit pour faire le point sur un itinéraire et rebondir ailleurs, là où on ne vous attend pas. (Pour formuler cela, Lévy a des accents qui rappellent quelquefois La Chute de Camus…) « Devant mai, une vie sans rendez-vous », conclut-il, mélancoliquement. Par bonheur, nous n’en croyons pas un mot !


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